Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

298 · Dans son discours « secret », Khrouchtchev lui-même donna un exemple, remontant à l'année 1931, des méthodes employées dans la lutte à mort pour le pouvoir suprême et, ce faisant, il était en contradiction avec sa thèse générale suivant laquelle les choses ne commencèrent à mal tourner qu'à partir de 19 34. Or, bien entendu, cette lutte avait commencé dès la mort de Lénine, et elle se fit de plus en plus meurtrière. Tôt ou tard - avec ou sans·l'affaire Kirov - le bain de sang devait finalement clore le bilan et marquer la victoire du stalinisme. Khrouchtchev était fort éloigné de l'orthodoxie marxiste quand il déclarait que, « si Lénine avait vécu », on n'aurait pas usé d'une méthode aussi extrême envers de nombreux opposants trotskistes à la « ligne générale ». Tout au contraire, si Lénine avait vécu, il eût été au banc des accusés au côté de Boukharine. La façon dont Staline traita Kroupskaïa montre qu'il n'avait aucun respect des individus, si éminents fussent-ils. Une question se pose : comment Khrouchtchev eut-il l'aplomb de porter des accusations aussi graves contre Staline et ses séides sans apparemment craindre que son auditoire n'en tire des conclusions « erronées », en particulier quant à sa complicité personnelle ? La seule explication est que la génération soviétique d'aujourd'hui n'est pas en mesure de confronter les faits tels qu'on les lui présente avec sa propre connaissance des événements auxquels ces faits se rattachent. Elle ne possède pas pareille connaissance. Les faits qui se rapportent aux circonstances entourant l'assassinat de Kirov étaient nouveaux pour elle; elle ignorait que ces faits eux-mêmes avaient été utilisés aux procès de Moscou pour incriminer, non pas Staline et"ses proches compagnons d'armes, mais les ennemis de Staline dans le Parti, ainsi que ceux qui n'avaient pas l'échine assez souple. Cette génération ignore que la réhabilitation de I.A. Jelinski, G. F. Grinko et A. Ikramov réduit à néant leurs témoignages au troisième procès de Moscou, témoignages qui les· accablaient eux-mêmes et leurs coaccusés. Elle ignore qu'il en va de même pour la réhabilitation d'Enoukidzé et de Roudzoutak qui - quoique n'étant pas au banc d'infamie (ayant été jugés à part et condamnés dans des procès secrets) - :figuraient en réalité parmi les accusés dudit procès. Le compte rendu de l' « enquête approfondie » de l'affaire Kirov promise par Khrouchtchev en 1961 sera - s'il s'agit bien d'un rapport véridique et si le public en a connaissance B.ibliotecaGino Bianco ... , LE CONTRAT SOCIAL - d'une importance énorme pour la génération soviétiqùe d'aujourd'hui. Car il pourrait annoncer la ruine officielle du plus. monstrueux édifice de mensonges et de calomnies jamais érigé par un gouvernement dans toute l'histoire de l'humanité. Nous voulons parler des procès de Moscou; et non pas seulement des procès de Moscou dont la clef de voûte fut l'affaire Kirov, mais également les procès précédents, dont ils étaient"- ainsi que Vychinski le souligna au cours de la dernière grande parodie de justice - la suite logique. Ce travail de démolition donnerait au peuple soviétique une vue claire de sa propre histoire politique ; de plus, cela le libérerait du soupçon envers le monde extérieur que ces procès lui ont inculqué. Les nouveaux antistaliniens ont commencé à saper les murs, ils y ont même ouvert de grandes brèches, mais l'édifice est toujours debout et témoigne, de manière horrible, des abîmes de perversité où l'homme est parfois capable de sombrer. HUGO DEWAR. (Traduit de l'anglais) N. B. - L'article, à cet endroit, est amputé d'un passage qui prête par trop à contestation : il fait état d'une « lettre de Boukharine » qui n'est ni une lettre ni de Boukharine, publiée en décembre 1936 - janvier 1937 dans le Courrier socialiste (menchévik) comme « lettre d'un vieux bolchévik ». Lettre « écrite à Moscou » dit la préface de l'édition américaine en brochure (Rand School Press, 1937). En fait, il s'agit d'un texte composé à Paris par un vieux menchévik, d'après, dit son auteur, B. Nicolaïevski, certaines conversations avec plusieurs interlocuteurs, Boukharine étant du nombre. Mais quelle est la part de chacun, outre celle du rédacteur, quel crédit peut-on leur accorder quand on sait, par exemple, que Boukharine était couramment traité d' « hystérique » par ses plus proches camarades, quand on a lu la lettre de Kamenev à Zinoviev datée de 1928 (cf. notre n° 1 de 1964) et le récit de Lydia Dan (cf. notre n° 4 de 1964) où d'ailleurs, Boukharine ne prononce même pas le n~m de Kirov ? Qui peut croire à la sincérité de communistes parlant à, un adversaire politique, alors que le mensonge était devenu leur seconde nature, même entre eux ? Qui peut répondre de leur véracité, sachant comment étaient gardés, à cette date, les secrets du Politburo ? Kirov avait participé activement aux pires méfaits de Staline, entre autres à la collectivisation terroriste des campagnes, au massacre impitoyable de millions de paysans travailleurs, à la répression brutale des moindres velléités d'opposition dans le Parti. C'est lui qui, au XVII 0 Congrès, est allé jusqu'à proclamer Staline « le plus grand des chefs de tous les temps et d~ tous les peuples ». Boukharine, auteur de la formule inoubliable « un parti au pouvoir, ':tous les autres en prison », a été complice intime de Staline avant de tomber en disgrâce à son tour. Il faudrait avoir perdu la mémoire pour s'exagérer les nuances qui ont pu diviser les parvenus de l'oligarchie bolchévique, tous d'accord pour exploiter et opprimer l'ensemble des populations laborieuses de l'ancien Empire des tsars. - N.d.l.R.

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