296 · faits essentiels quant à l'assassinat de Kirov apparurent dès cette époque. Iagoda, ancien chef du N.K.V.D., alors lui-même au banc des accusés, donna cette version de l'affaire : En 1934, pendant l'été, Enoukidzé m'informa de la décision prise par le centre du « bloc des droitiers et des trotskistes » quant à l'organisation de l'assassinat de Kirov. Rykov avait pris une part directe à cette décision (...). Je tentai d'élever des objections; je produisis toute une série d'arguments sur l'inanité, sur l'inutilité de cet acte terroriste (...). Enoukidzé insistait pour que je ne fisse pas obstacle, et l'acte terroriste, · disait-il, sera accompli par un groupe trotskiste-zinoviéviste. En conséquence, je fus obligé d'inviter Zaporojets, qui occupait le poste de chef-adjoint de la section de Léningrad du commissariat du peuple aux Affaires intérieures, à ne pas mettre obstacle à l'accomplissement d'un acte terroriste sur la personne de Kirov. Au bout de quelque temps, Zaporojets m'informa que les organismes du commissariat du peuple aux Affaires intérieures avaient appréhendé un nommé Nikolaïev, qui avait été trouvé porteur d'un revolver et de l'itinéraire habituel de Kirov. Nikolaïev fut remis en liberté. Peu de temps après, Kirov était assassiné par ce même Nikolaïev 1 • Boulanov, le secrétaire de Iagoda, parla en ces termes de l' « accident » survenu au garde du corps de Kirov : lagoda me raconta ensuite que Borissov, collaborateur de la section de Léningrad du commissariat du peuple aux Affaires intérieures, était mêlé au meurtre de Kirov. Lorsque les membres du gouvernement, arrivés à Léningrad, mandèrent à Smolny Borissov pour l'interroger comme témoin de l'assassinat de Kirov, Zaporojets, inquiet, et craignant que Borissov ne livrât ceux qui étaient derrière Nikolaïev, décida de tuer Borissov. Sur les indications de lagoda, Zaporojets fit en sorte que l'auto qui devait amener Borissov à Smolny eût un accident. Borissov fut tué, et c'est ainsi qu'il se @lébarrassad'un témoin dangereux. Je compris· alors le soin exceptionnel dont fit preuve I agoda lorsque Medvied, Zaporojets, et les autres collaborateurs furent arrêtés et déférés en justice 2 • Ce précédent procès de fon.ctionnaires du N.K.V.D. avait été rendu public à l'époque (1935). L'acte· d'accusation spécifiait, entre autres, que F. D. Medvied, chef du N.K.V.D. de Léningrad, ainsi que la plupart des autres accusés (douze au total), avaient eu vent de la préparation de l'attentat, mais qu'ils n'avaient pâs pris de mesures préventives. comme il leur aurait été facile de le faire (New York Times, 24 janv. 1935). En outre, il était évident, d'après ce qui fut dit d'eux au procès de 1.938, que Medvied et Zaporojets avaient été fusillés en 1937. Ainsi, les faits révélés par Khrouchtchev n'avaient rien de vraiment original. Ces révélations durent sans aucun doute frapper les 1. Commissariat du peuple de la Justice de !'U.R.S.S. : Le Procès du « bloc des droitiers et des trotskistes •· Compte rendu stP.nographique des débats. Moscou 1938, p. 610. 2, Ibid., p. 595, Biblioteca Gino Bianco • LE CONTRAT SOCIAL jeunes militants de base du Parti, mais tous les grands· dirigeants qui avaient survécu à la période des épurations sanglantes devaient ,. assurément être déjà au courant. Et l'on se demande vraiment en quoi des années d'enquête étaient nécessaires pour mettre au jour des faits bien connus. CE1'.TESc, e qui était nouveau, c'était l'interprétation donnée à ces faits. En lançant la campagne de déstalinisation, Khrouchtchev assignait à l'affaire Kirov un rôle dans le tableau du passé qu'il voulait imposer au peuple russe. L'assassinat de Kirov était désormais présenté comme marquant l'entrée dans une phase entièrement nouvelle de l'histoire soviétique : là s'était ouverte véritablement l'ère stalinienne, au cours de laquelle les normes du Parti et de l'Etat, qui avaient prévalu jusque-là, avaient subi une défaite t~mporaire. Dans son discours « secret », Khrouchtchev le définit de la sorte : Après l'assassinat de Kirov commencèrent les répressions massives et les actes brutaux de violation de la légalité socialiste. Le fondement juridique de ces répressions massives, rappela Khrouchtchev, fut un décret en date du 1er décembre 1934 (le jour même du meurtre), qui exigeait qu'on accélérât les enquêtes sur les actes de terrorisme, refusait tout droit d'appel et réclamait l'application de la peine de mort immédiatement après la sentence 3 • En 1961, Khrouchtchev et ses partisans soutinrent ouvertement que Staline et ses proches collaborateurs avaient profité de l'assassinat de Kirov pour ouvrir l'ère de la terreur, et ils laissèrent entendre que ces derniers avaient· pu être complices dans l'attentat lui-même. Dans rHistoire du parti communiste de l'Union soviétique de 1959 (destinée à remplacer le Précis stalinien de 1938), l'assassinat était encore l'œuvre d'un complot des « zinoviévistes ». Dans la mouture de 1962, Staline avait pris l'assassinat comme prétexte pour organiser des représailles contre tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, n'avaient pas l'heur de lui plaire. Cette version concordait avec la ligne défendue au XXIIe Congrès par A. N. Chélépine (alors président du comité de la Sécurité d'Etat) : 3. Comme signataire de ce document, Khrouchtchev ne mentionna qu'Enoukidzé, en .oubliant tout simplement le principal signataire : Kalinine. ' .. ..
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