Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

YVES LÉVY jamais fonctionné, ne fonctionneront peut-être jamais dans des conditions normales. Un président de combat dans une République parlementaire LA PRÉSIDENCE DU GÉNÉRAL DE GAULLE, jusqu'à présent, comprend deux phases. Un auteur distingue une période « autoritaire », suivie d'une période « parlementaire », le passage de l'une à l'autre se faisant avec les élections de novembre 1962 11 • Cette analyse ne semble pas exacte du point de vue théorique, car les règles du parlementarisme tel qu'il a été défini en 1958 ont été respectées, pour l'essentiel, dans la première période aussi bien que dans la seconde. Elle n'est pas exacte non plus si l'on se réfère à la pratique politique, car le caractère parlementaire de la seconde phase est d'un formalisme assez creux, ·et qui ne dissimule guère un gouvernement personnel. Enfin la césure indiquée, si elle convient à une analyse sta_tique,devient arbitraire si l'on tient compte de la dynamique constitutionnelle. On a affaire non à deux phases qui se juxtaposeraient dans le temps, et relèveraient de l'examen juridique, mais à deux phases qui s'enchaînent. En fait, notre régime est un système qui évolue, comme on a dit qu'il arriva déjà à _un autre régime au siècle dernier. Et comme LouisNapoléon, le général de Gaulle, à l'occasion, fait état de ce caractère évoltttif. Il est vrai que Louis-Napoléon cherchait à faire patienter les amis de la liberté, tandis que le chef de l'Etat, aujourd'hui, veut préparer les esprits à l'accroissement de son pouvoir. Au cours des deux phases qu'on a dites, le régime s'est-il libéralisé ? C'est ce que pourrait faire croire l'analyse qu'on a citée. En fait, ces deux phases reproduisent assez bien celles du gouvernement du prince-président : hésitant à rompre en visière avec l'Assemblée, le chef de l'Etat gouverne d'abord avec un premier ministre qui est un chef parlementaire, puis le remplace par un homme qui ne relève que de lui et n'existe que par lui. C'est donc en avril 1962 que le régime change de route. Le moment était bien choisi. Craignant une dissolution décidée dans un moment trop favorable au chef de l'Etat, indépendants et M.R.P., par le vote ou l'abstention, laissèrent s'accomplir le premier pas sur le chemin d'une nouvelle aventure. Après un mois de réflexion, les deux partis tentèrent de faire machine arrière. Il était trop tard. A la fin de l'été, encouragé par l'indécision de ses adversaires - et violant t 1. Maurice Duverger : ln,tltullon, politiqua el droit eon,tltulfonnel, 8• 6d., Parla t 985, p. 836. Biblioteca Gino Bianco 283 délibérément la Constitution - le chef de l'Etat faisait un second pas vers l'abolition du parlementarisme, il se donnait une arme pour, en cas de besoin, triompher d'une Assemblée hostile : ce fut le référendum qui rétablit, pour l'élection du président de la République, l'appel au suffrage universel qu'au siècle dernier le prince-président avait si aisément converti en appel au peuple. Puis, jetant aux orties la fiction de l'arbitrage présidentiel, le chef de l'Etat entra en lice pour demander au corps électoral de voter pour ses candidats. A cette occasion, il exploita le thème des « anciens partis » qui avait tant fleuri sous le second Empire, et s'il lui a donné une forme plus sonore, plus oratoire, on ne peut juger qu'il l'ait beaucoup rajeuni en disant, redisant et répétant encore : « les partis de jadis ». Le miracle se produisit. Le chef de l'Etat eut sa majorité parlementaire. C'est une majorité de coalition, et ce n'est d'ailleurs qu'une majorité parlementaire, obtenue avec un nombre total de suffrages assez faible, mais enfin c'est une majorité. S'il avait échoué à la conquérir, le général de Gaulle se trouvait dans la situation du maréchal de Mac-Mahon : il lui fallait se soumettre, ou se démettre - ou tenter un coup d'Etat. On remarquera d'ailleurs qu'en théorie le président n'a nul besoin d'une majorité parlementaire. L'esprit ni la lettre de la Constitution ne lui attribuent un rôle politique, mais un rôle constitutionnel : il est chargé de remettre en route les institutions lorsque, pour quelque cause que ce soit, interne ou externe, le mécanisme s'enraye. C'est à ce titre-là qu'il est arbitre, et l'on a déjà exposé ici que cette fo~ction doit précisément s'exercer lorsque fait\ défaut une ferme majorité parlementaire. On a également exposé que l'histoire du dernier demi-siècle démontre largement la nécessité d'une telle fonction. Or cette fonction n'existe plus. Le chef de l'Etat a cru attaquer les partis. En fait il a pris parti, il a multiplié les « irréconciliables », et quelque crise qui survienne, il sera personnellement mis en question : il n'y aura plus aucun recours, on n'aura plus à qui s'adresser pour gagner du temps, apaiser les esprits, établir l'armistice qui, lorsque les passions sont refroidies, permet aux luttes politiques de reprendre au diapason habituel. Il peut bien y avoir un médiateur entre les partis, entre les chefs de partis. Mais quel médiateur aurait assez d'autorité pour s'imposer au président lui-même, descendu dans l'arène? Si le président avait besoin d'une majorité parlementaire, c'est parce qu'il veut jouer le rôle du premier ministre, c'est parce qu'il joue

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