C. GRZYBOWSKI Cette définition - qui ne saurait passer pour un modèle de clarté et de précision - perpétuait, en fait, l'attitude caractéristique de l'ère stalinienne ; elle orientait les tribunaux vers l'élément de danger social qui devait décider du règlement des cas individuels. La doctrine de danger social est connue de toutes les législations criminelles. Elle exprime la justification fondamentale de la prévention de certains actes sous la menace d'une sanction pénale, étant donné que toute société protège les institutions, théories ou valeurs sociales essentielles au maintien de l'ordre public. La différence entre l'application traditionnelle et l'application « socialiste » du concept de danger social apparaît au moment où les tribunaux entrent en jeu. Dans le système judiciaire socialiste, les tribunaux doivent tenir compte du danger social lorsqu'ils rendent leurs arrêtés ; dans le système traditionnel, la fonction des tribunaux consiste plutôt à apporter une attention spéciale au caractère du délinquant et aux circonstances spécifiques de l'affaire jugée. En 1960, un juriste soviétique du nom d'Outevski s'efforça de ramener la notion de danger social à ses justes proportions. Ses commentaires furent émis à propos des plans visant à mêler les organisations sociales au processus d'application des lois, plans qu'on venait de porter à la connaissance du public. Pour Outevski, la notion d'après laquelle l'acte criminel doit entraîner une réaction de type unique sous la forme d'une sanction infligée par les tribunaux était périmée. Selon les réformes envisagées, la réaction de la société devant l'acte criminel pouvait prendre l'une des trois formes suivantes. Premièrement, le coupable pouvait être soumis, par décision du tribunal, à des mesures de rééducation mettant en jeu une action sociale en tant qu'élément majeur de défense sociale. Deuxièmement, pour certaines catégories de délits, l'affaire pourrait être confiée à une organisation sociale (un « tribunal de camarades », par exemple) et non à la procédure ordinaire. Troisièmement, il était possible de juger l'affaire et d'appliquer des mesures de rééducation sans qu'une sentence officielle soit prononcée par les tribunaux ou les organisations sociales. De l'avis d'Outevski, cela réclamait une nouvelle façon d'aborder les cas individuels, comportant principalement l'étude approfondie de la personnalité du délinquant pour déterminer l'action appropriée 5 • Toutefois, et bien que la question ait fait 5. B. S. Outevskl : • La queations de droit p6nal dan■ le projet de loi», in l'Etat 1ovlltlque et le droit, Mo■cou, 1960, n° 1, pp. 116-19. Biblioteca Gino Bianco 237 l'objet de quelques discussions, l'accent sur le « danger social » conservé dans les Principes de législation criminelle de 1958 a entraîné le maintien du concept dans le code criminel de la R.S.F.S.R. et le code des autres Républiques établis par la suite. Enfin, les réformes de 1958 présentaient un défaut fondamental : elles ne s'attaquaient ni aux véritables faiblesses du système judiciaire ni à la façon dont les procès criminels étaient menés. Alors que les Principes de procédure criminelle avaient amené un certain progrès quant à la sauvegarde des droits des accusés, il n'en demeure pas moins que les procès criminels soviétiques sont aujourd'hui menés à peu près comme du temps de Staline. La procédure criminelle est encore dominée par le ministère public qui cumule les fonctions de procureur (partie au procès) et de gardien de la légalité. Sa position est encore renforcée du fait qu'il surveille l'instruction préalable, menée soit par la police, soit par une équipe d'enquêteurs spéciaux. En tant que juriste professionnel et fonctionnaire du gouvernement doté d'un statut permanent, il dispose de pouvoirs beaucoup plus étendus que le juge, dont la charge est « élective » et temporaire et de qui l'on n'exige ni formation juridique ni expérience. Au cas où un juge rendrait une décision contraire aux recommandations du parquet, le ministère public aurait le droit de faire appel ou même de rouvrir le procès. Dans de telles circonstances, la seule « garantie » qui s'offre a l'accusé est l'impartialité du ministère public. L'injustice inhérente à une telle structure s'aggrave de la persistance, dans le système juev-ciaire,de certaines habitudes et dispositions d'esprit nées des méthodes staliniennes et qui survivent du fait qu'on a rarement élaboré de nouvelles techniques qui permettraient de rendre une justice impartiale. Un exemple de ces attitudes a été cité dans un article publié en 1960 par un procureur de la région de Moscou, qui critiquait la façon dont l'instruction était généralement menée. Il déplorait en particulier que l'instruction tendît plutôt à prouver la culpabilité de l'accusé et non à faire un examen impartial des faits pouvant permettre à un innocent de ne pas être ~ , . . traine en Justice : L'attitude tendancieuse, le manque d'objectivité, la fâcheuse inclination à formuler à tout prix une accusation criminelle lors de l'examen des affaires ( obviniticlny ouklon) mènent à de graves erreurs. Lorsque nous parlons de penchant accusateur, nous pensons à certaines activités des autorités chargées de l 'instruction, du ministère public et de la justice en général, qui mèncflt à formuler des accusations sans fondement ou
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