Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

Débats et recherches P.-J. PROUDHON · CENT ANS APRÈS P - J. PROUDHOeNst à la fois célèbre et méconnu, en quoi son cas n'a rien d'exceptionnel. • Célèbre par ses formules à l'emporte-pièce · comme : « La propriété, c'est le vol >> et : « Dieu, c'est le mal », ou sa théorie tranchante et définitive sur la femme « ménagère ou courtisane», que d'aucuns ont grand tort de prendre pour des boutades. Méconnu parce que, sauf rares spécialistes, personne ne se donne plus la peine de lire vraiment sa prose ubéreuse et désordonnée, foisonnante d'idées contradictoires où chacun peut emprunter quelque chose à l'appui de sa propre thèse. Ce « Joseph de Maistre prolétaire >> (Daniel Halévy dixit) presque tombé dans l'oubli pendant près d'un demi-siècle avait resurgi quelques années avant la première guerre « mondiale », disputé par deux écoles antagoniques de disciples dont le Cercle Proudhon néo-monarchiste tentait de réaliser la synthèse entre le nationalisme intégral et le syndicalisme révolutionnaire. Lors du centenaire de sa naissance en 1909 s'était ranimé l'intérêt de cercles intellectuels restreints envers ses écrits et sa personne. L'inauguration du monument Proudhon à Besançon en 1910 inspirait à Charles Maurras des pages véhémentes contre la troisième République indigne, selon lui, d'honorer ce « Maître de la contrerévolution » en qui Pierre Kropotkine avait salué le « père immortel de l'anarchie »••• A la fin de 1911 se créa le Cercle Proudhon, dont la contrepartie fut bientôt la société des Amis de Proudhon, démocratique et fédéraliste. Maxime Leroy dans la Grande Revue (avril 1912) qui publia toute une enquête sur l'actualité de Proudhon, Hubert Lagardelle dans le Mouvement socialiste (janvier 1912), Célestin Bouglé à la Société française de philosophie (février 1912), Georges Guy-Grand dans Pages libres (février 1913) et d'autres donnèrent la réplique. De nos jours, les controverse·s s'étant apaisées, Proudhon n'est guère revendiqué que par certains tenants de la Fédération européenne, lesquels ne regardent pas de trop près BibliotecaGino Bianco les idées fédéralistes proudhoniennes. Et le centenaire de sa mort, en janvier dernier, n'a pas réveillé les passions éteintes ni suscité de nouvelles études facilitant l'intelligence du proudhonisme. « Un bon moyen de célébrer le centenaire de la mort de Proudhon, nous écrit Théodore Ruyssen, serait de faire enfin paraître le tome III des Carnets et, si possible, le quatrième et dernier. >> La suite et la fin des Carnets seraient, en effet, les bienvenues. Cependant une revue qui n'est pas plus proudhonienne que marxiste n'entend point, à proprement parler, « célébrer >> ce centenaire, mais le parallèle constant que la vie sociale impose entre Marx et Proudhon motive assez la publication qui va suivre. Malgré l'abondance des textes exhumés et des arguments échangés sur le sujet depuis bientôt trois quarts de siècle, c'est un discours du professeur Maurice Bourguin prononcé le 9 novembre 1892 à la séance de rentrée des Facultés de Lille qui exposera ci-après la question des « rapports entre Proudhon et Marx», tant il est vrai que tout l'essentiel était accessible et intelligible bien avant que les pédants ne s'emparassent de documents inédits et de papiers posthumes, puis que les cuistres et les snobs de notre temps n'en fassent leur affaire au pire sens du terme. Maurice Bourguin, auteur de sérieuses études sur la plus-value, sur la mesure de la valeur, sur la monnaie, sur la théorie des crises, se tient essentiellement sur le terrain de l'économie politique dans sa comparaison critique des deux doctrines, où il fait preuve d'une impartialité exemplaire sans renoncer à dire son mot personnel, qualité qui justifierait à elle seule la reproduction actuelle de son discours 1 • Certes, on ne méconnaît pas ici qu'il restait beaucoup à commenter dans ProuI. « Université de France. Séance de rentrée des Facultés de Lille. 3 novembre 1892. Lille, Imprimerie L. Danel, 1892. Discours de M. Bourguin. » (Texte réimprimé l'année suivante dans la Revue d'Jconomie politique.)

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