Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

QUELQUES LIVRES non seulement celle qui concerne les principaux collaborateurs de Lénine (comme Zinoviev, Kamenev, Rykov, Boukharine, Racovski, Radek et tant d'autres), mais encore une partie de celle qui touche à Lénine lui-même. En outre, l'histoire et l'historiographie officielles, seules tolérées dans l'Union soviétique, obéissent à des considérations politiques aussi étroites qu'impératives et à des consignes intéressées qui déforment et dénaturent et contredisent la vérité historique au point de la rendre méconnaissable. Ces innovations immorales introduites dans la vie intellectuelle et dans les sciences sociales par Staline restent en vigueur jusqu'à nos jours, attestant la pérennité de l'ordre établi peu après la mort de Lénine dans l'ancien empire des tsars. C'est dire l'importance majeure d'un recueil documentaire authentique comme celui-ci, pour l'histoire de la révolution russe, du régime soviétique et du communisme. Aucun centre d'études où se pratiquent ces disciplines ne pourra désormais s'en dispenser. Les historiens soviétiques qui ont une conscience et qui traitent des cinq premières années consécutives à la chute de l'ancien régime feront certainement leur lecture clandestine des rares exemplaires éventuellement passés en contrebande, même sans pouvoir en faire état, en attendant que la vérité soit admise dans leur pays au grand jour. B. SOUVARINE. Justification du terrorisme LÉON TROTSKY: Terrorisme et communisme (L' anti-Kautsky). Présentation par Alfred Rosmer. Paris 1963, Union générale d'éditions, 316 pp. CETTERÉÉDITIONd'un pamphlet vieux de quarante-cinq ans aura peut-être certaine valeur pour qui a besoin de compléter sa bibliothèque et aussi pour ceux qui ont vécu cette période. La lecture (ou la relecture) de cette polémique ranimera leurs souvenirs et les replacera dans l'atmosphère d'une époque tourmentée, presque effacée aujourd'hui par les horreurs sans nom que le monde a traversées depuis. On se demande en vain ce qui a pu déterminer Alfred Rosmer, l'un des rares et derniers fidèles de Léon Trotski, à rééditer précisément cet opusculeci, que rien ne rattache plus à l'actualité et qui compte en outre parmi les productions les plus faibles et les plus ternes du grand tribun de la révolution russe. Dans sa présentation, écrite en mai 1963 (un an avant sa mort), Alfred Rosmer ne prend d'ailleurs pas la peine de donner d'explications. Il dénonce surtout l'attitude des socialistes partisans de la défense nationale pendant la ~erre de 1914-18, ce qui n'a évidemment rien à votr avec le sujet traité par Trotski, et il s'appesantit en Biblioteca Gino Bianco 53 particulier sur ce qu'il appelle les « reniements » de Kautsky sans se fonder sur des textes précis. Datée de mai 1920, la brochure de Trotski répond à une étude de Karl Kautsky publiée en juin 1919. Kautsky s'y livrait à une analyse fouillée des rapports entre les révolutions et le terrorisme en remontant jusqu'à 1789, pour condamner, dans le dernier chapitre, l'action terroriste du bolchévisme au pouvoir depuis vingt mois. La réplique de Trotski se ressent, ce qui n'est point étonnant, de l'activité débordante qu'il eut à déployer à la tête de l'Armée rouge engagée sur plusieurs fronts dans la guerre civile. Le style ne rappelle guère le brillant écrivain que l'on a connu. L'argumentation n'est pas seulement décousue, elle est aussi fort pauvre. Elle se ramène pour l'essentiel à cette constatation qu'il est impossible de se passer de la terreur en pleine guerre civile, de ne pas fusiller d'otages quand cela se pratique dans le camp adverse, d'accorder la liberté de la presse et de la parole à ceux qui ont ou qui sont supposés avoir partie liée avec l'ennemi. Sur ce plan, la démonstration semble irréfutable, mais elle masque le vrai problème, que Kautsky avait posé et dont Trotski se garde bien de souffler mot : le péché originel d'Octobre 1917, la conquête du pouvoir par une minorité. Peut-être les choses eussent-elles pu encore s'arranger si alors Zinoviev et Kamenev avaient obtenu la constitution d'un gouvernement rassemblant toutes les tendances socialistes représentées dans les soviets, des menchéviks aux socialistes-révolutionnaires. Mais le point de vue de Lénine et de Trotski prévalut, les bolchéviks restèrent seuls au pouvoir (les s.-r. de gauche furent éliminés neuf mois plus tard), et dès lors le gouvernement de Lénine- Trotski se trouva, infime minorité, en face d'oppositions diverses qui n'eurent plus d'autre ressource que de rallier les forces hostiles au nouveau régime dans l'espoir de reconquérir les libertés dont on les avait dépouillées. En règle générale, le coup d'Etat d'une minorité est inévitablement générateur de l'opposition violente de la majorité et de la guerre civile, pour peu que les circonstances s'y prêtent. Le terrorisme devient ainsi inéluctable de part et d'autre, et il ne saurait plus être question de socialisme. Le seul fait que, dans une société donnée, le coup d'Etat d'une minorité soit nécessaire pour que celle-ci accède au pouvoir est la preuve que la société en question n'est pas mdre pour le socialisme. Trotski fournit d'ailleurs indirectement la preuve de cette loi en reprochant à Kautsky (pp. 144-45) de préférer citer « le Marx de la maturité» plutôt que celui de 1848-49. « Le Marx de la maturité», Marx devenu pour ainsi dire vraiment «marxiste», après avoir été plutôt blanquiste du temps de sa jeunesse, avait en effet envisagé plus d'une fois la conquête du pouvoir par des moyens pacifiques. En insistant sur ce point, Kautsky se serait livré, selon Trotski, à une « assertion calomnieuse».

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