Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

380 de l'Alliance atlantique. Parallèlement, les menaces françaises contre le Marché commun jettent le trouble dans les consciences européennes comme dans les perspectives de notre industrie. Quant au mariage franco-allemand dont on célébrait la lune de miel il y a moins de deux ans, il en est à la séparation de corps, sinon au divorce enregistré. La situation intérieure n'est pas meilleure : politique de prestige et d'isolement nationaliste se répercutant sur les impôts; désordre de l'enseignement ; insuffisance des logements et des voies de circulation ; hausse persistante des prix en dépit d'un plan dit de stabilisation, mythe à l'usage interne, contradictoire d'ailleurs avec le mythe externe de la « grandeur » croissante : la stabilité économique ne s'accommode pas d'une politique étrangère où les restrictions mentales et les obscurités voulues ne peuvent plus dissimuler ce qu'elle a d'aventureux pour la France et de dangereux pour le monde libre. Après une analyse serrée des textes, René Courtin avait conclu à l'existence d'un « Grand Dessein » : volonté de mettre sur pied une Europe des nations, U.R.S.S. comprise, en dehors des AngloSaxons. Dans sa Lettre, Georges Izard, sondant discours et silences du chef de l'Etat, pense que ce Grand Dessein serait qu'une France puissance atomique prenne la tête d'un bloc neutraliste avec une clientèle d'Etats sous-développés. Le voyage en Amérique du Sud entrerait dans ce schéma, de même que la reconnaissance de la Chine communiste, le soutien à Ben Bella, etc. Quoiqu'il s'agisse de deux projets différents, ils présentent cependant bien des points communs, lesquels ne sont pas de simples hypothèses mais des faits indéniables : l'hostilité aux Anglo-Saxons et à une Europe supranationale, la poursuite de la fabrication de la bombe H, une idée fixe, plus maurrassienne que jacobine, du nationalisme signifient une volonté de politique impériale ou mondiale d'un genre nouveau. Quant au but précis, il reste enveloppé de ce mystère dont le général a toujours fait le postulat de sa stratégie politique. Le mystère peut être utile quand il accompagne une politique à longue échéance. Si elle se révèle incapable de soulever l'enthousiasme populaire, celle-ci n'en bénéficie pas moins alors du travail de taupe qu'on attribue volontiers à l' «Histoire». En l'occurrence, la durée accordée à l'existence politique du général de Gaulle est singulièrement limitée. Son Grand Dessein lui survivra d'autant moins qu'il sera resté étranger au peuple français qui en ressent les effets négatifs dans sa vie quotidienne. Sans base économique suffisante, la politique de grandeur reste un moulin à vent, à moins d'imposer les intolérables restrictions propres aux régimes totalitaires. En outre, comme le fait justement Biblioteca Gino Bianco \ LE CONTRAT SOCIAL remarquer Georges Izard, cette politique, essentiellement anti-américaine, est non seulement repoussée par nos voisins européens, mais elle est de plus tournée par l'Amérique qui investit en Europe et en France même une masse croissante de capitaux. A la condamnation de cette politique d'illusion, Georges Izard apporte sa contribution. Dans un style familier, se faisant l'avocat de l'homme de la rue, il a habilement mêlé les critiques les plus dures aux regrets sentimentaux d'un gaulliste déçu (déçu, semble-t-il, depuis l'époque de la Résistance?). Sa Lettre affligée peut trouver auprès du public une audience qui dépasse de beaucoup celle de l'opposition parlementaire, car elle a des chances de cristalliser l'inquiétude d'un peuple qui ne hait rien tant que l'aventure. MICHEL COLLINET. Dépolitisation ? L' Année politique, économique,socialeet diplomatique en France. I963. Paris 1964, Presses Universitaires de France, 447 pp. L' Année politique a allongé son titre, considérablement réduit le nombre de ses pages (le volume précédent en comptait plus de 800, mais comprenait 90 pages de statistiques électorales et 80 sur l'Algérie), et renoncé à faire présenter l'année écoulée par une personnalité en vue. C'est surtout la rubrique « Politique extérieure » qui fait les frais de la réduction du nombre des pages. Une rubrique nouvelle apparaît : « Partie documentaire». C'est une innovation heureuse. Les renseignements concernent l'économie, les transports et le tourisme le logement et l'aménagement du territoire, la santé publique et la population, l'éducation nationale, l'information et la culture. Dans cette dernière partie, on remarque des statistiques sur la .presse. Dans la catégorie des hebdomadaires parisiens, •on y apprend le chiffre de tirage du Petit Echo de la mode, d' Elle, d'ici Paris, d'intimité, de Nous Deux, et autres périodiques tirant à plus de 450.000 exemplaires. Mais les hebdomadaires poli- ;tiques n'y figurent pas. De même, les mensuels cités n'ont pas moins de 300.000 exemplaires. Ce .sont· donc Marie-Claire, Marie-France, Modes et travaux, Salut les copains, et tutti quanti. On se demande si l'Année politique est victime de la dépoµtisation, ou si le politiste, ici, a cédé sa plume à un sociologue américain. YVES LÉVY. •,

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