Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

D. P. HAMMER généralités ou dégénèrent en attaque contre le système «capitaliste». La plupart des étudiants soviétiques ne peuvent pas discuter des problèmes auxquels se heurte leur gouvernement, ne peuvent pas concevoir qu'une politique puisse émaner d'un choix entre plusieurs formules d'action. A l'exception d'une petite minorité, ils ne discutent pas de politique entre eux. Le conflit avec la Chine, le problème de l'organisation industrielle, le problème des stimulants à offrir aux kolkhoziens, la répartition des ressources - toutes ces questions relèvent des politiques élaborées en haut lieu, sur lesquelles, en temps voulu, les dirigeants feront connaître leur opinion. L'étudiant, comme d'ailleurs les autres citoyens, n'a pas l'habitude de formuler, avant la version officielle,des vues qui lui soient propres. Dans son roman intitulé Le Secrétaire régional du Parti, Vsévolod Kotchétov a illustré cette attitude à l'aide d'un dialogue entre un vieux bolchévik et un jeune poète. Le vieillard, Tchernogous, s'en prend au jeune homme à qui il reproche d'être « coupé de la vie », de faire preuve d'un individualisme outrancier et de ne pas tenir compte du rôle social du poète. Le poète l'interrompt : « Que voulez-vous dire? Que la musique et la poésie sont des bombes et des étendards, une voix qui appelle les classes à la révolte ? » Tchernogous est fort surpris de cette réaction : TCHERNOGOUS. - Oui, c'est à peu près ce que je voulais dire. En fait, vous l'avez mieux exprimé que je n'aurais pu le faire. Mais n'avez-vous jamais songé à cela? PTOUCHKOV. - Oui, j'y ai pensé. Mais l'époque des bombes et des étendards est révolue. La lutte des classes est finie et nous n'avons plus de classes. Il ne nous reste que l'homme, l'individu. Et l'homme est toujours l'homme. Il est toujours tombé amoureux et il le fera toujours. Il a toujours éprouvé joie et tristesse, et il les ressentira toujours. Il y aura toujours ceux qui sont heureux et ceux qui ne le sont pas. Il y aura toujours la jalousie, la sensualité et ... TCHERNOGOUS. - Et les questions sexuelles? PTOUCHKOV. - Eh bien oui, puisque vous voulez en parler, nous avons toujours eu un sexe et nous en aurons toujours un. TCHERNOGOUS. - Alors, qu'avons-nous accompli en octobre 1917? PTOUCHKOV. - Exactement. Qu'avez-vous accompli, au juste? Pour les gens comme moi - et sans doute pour vous-même - vous avez acquis le droit d'être vous-mêmes, le droit d'être libre dans ce qu'on crée. De cela nous vous savons gré, et sans aucune réserve. Mais pendant combien de temps allez-vous continuer à nous reprocher et à nous rappeler le bien que vous avez fait? 3 Kotchétov n'est pas un extrémiste. Au contraire, c'est un des écrivains soviétiques les plus conservateurs et les plus à cheval sur les principes. Mais, en Ptouchkov, caricature évidente des poètes de la jeune génération, Kotchétov a réussi à exprimer 3. V. Kotch~tov : Sekretar obkoma, Moscou 1962, pp. 17778. Biblioteca Gino Bianco 363 leur façon de sentir. Ptouchkov résume l'état d'esprit de la jeune génération. L'indifferentizm ne représente pas l'opposition au Parti, mais le désir d'avoir la paix. L'attitude des étudiants CETTE MANIÈRE de voir est un produit du système. C'est, en partie, une réaction naturelle contre la propagande intense qui vise principalement les étudiants. Cela provient, en partie, de la différence marquée qui existe entre le milieu tel qu'il est réellement et le tableau offert par la propagande. Dans ce tableau, l'étudiant idéal est dépeint comme un travailleur enthousiaste, voué à « l' édification du communisme»; on peut donc supposer que l'université idéale, véritable trésor de science et de culture, constitue sa source d'inspiration. Or il y a une vaste différence entre l'idéal et le réel et, dans la pratique, il y a deux facteurs concernant les universités soviétiques qui sont rarement mentionnés, mais au sujet desquels nul ne se méprend: premièrement, l'université ouvre le chemin le plus certain de la réussite dans la société soviétique ; deuxièmement, les portes de l'université sont fermées à la majorité des jeunes. En fait, cela est littéralement vrai en ce qui concerne l'université de Moscou dont les portes sont soigneusement gardées pour interdire l'entrée à quiconque n'a pas un permis officiel. Les autres universités ne sont pas fermées de façon aussi hermétique, mais il est néanmoins très difficile d'y être admis. Pour le jeune appartenant à une classe sociale inférieure, et particulièrement pour les paysans, entrer à l'université exige beaucoup de travail et de persévérance, ainsi que de la chance. Pour les enfants de l'élite, l'admission est beaucoup plus facile. En réalité, les universités soviétiques, notamment les institutions les plus anciennes et les mieux établies, recrutent la plupart de leurs élèves dans les couches supérieures de la classe moyenne. Mais, même pour la classe moyenne, la rivalité est âpre, souvent sans pitié, et on est fort tenté d'employer tous les moyens possibles pour être admis. Certains parents sont allés jusqu'à payer quelqu'un pour passer les examens d'entrée sous un faux nom à la place de leur rejeton. Le cas d'Oleg Sarkissov qui, avant d'être arrêté, avait fait au moins sept « remplacements » à Moscou et à Léningrad, n'est pas rare 4 • Peu de familles prendraient l'énorme risque que représente la corruption directe ; de toute façon, il existe des moyens subtils et pas nécessairement illégaux de faire pression sur la direction d'une université ou d'un institut. Néanmoins, le fait que Sarkissov appartenait à une bande opérant dans plus d'une ville démontre l'ampleur prise par cette «combine». En fait, les concours d'entrée sont devenus, dans le langage estudiantin, des konkours roditeleï (concours des parents). Nombre d'étu4. « Tentative de corruption d•Athéna •, in Komsomolsltala Pravda, 17 fév. 1962.

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