DESTINÉES D'ÉCRIVAINS par Ivanov-Razoumnik Ceux qui ont péri LE NÉCROLOGE des écrivains qui, de façon ou d'autre, ont péri au cours de ces dures années est long, si long que les énumérer tous n'est guère possible dans un bref aperçu. Il s'en faut de beaucoup que je connaisse le sort de tous ; ainsi, le destin des écrivains provinciaux qui furent, en 1937, les victimes de Iéjov m'est en grande partie inconnu. Mais le nécrologe est assez long sans cela... On peut dire qu'il commence avec Alexandre Blok (mort le 7 août 1921), étouffé par la vague de contre-révolution spirituelle que les bolchéviks firent déferler sur nos têtes. Un mois et demi après sa mort, Goumilev fut fusillé : la Révolution française, elle, avait bien guillotiné André Chénier ... Goumilev fut la première victime, mais non la seule; il n'y eut plus d'exécutions d'écrivains rendues publiques, mais combien disparurent sans bruit, les uns fusillés, les autres condamnés à cc dix ans d'isolement rigoureux sans droit de correspondance »... Boris Pilniak, par exemple, dont la renommée était grande, qu'est-il devenu? Dans les cellules de la prison de Boutyrki à Moscou, on disait, en 1937-38, qu'il avait été fusillé pour « espionnage », et la prison est en général bien informée des destinées de ses hôtes. Selon les mêmes cc renseignements de prison », des cc grands noms » de la littérature soviétique, tels les fameux Averbach et Mikhai1 Koltsov, furent, sans doute possible, fusillés à la même époque. Le premier, gendre de Iagoda, était à la tête de la fameuse V.A.P.P. (Association pansoviétique des écrivains prolétariens) et se tenait pour le maître de la littérature russe. Il était comique de lire, dans les journaux et les revues littéraires qu'il dirigeait : cc Le secrétaire général de la V.A.P.P., le camarade Averbach, qui vient de rentrer d'un voyage à l'étranger, a repris ses fonctions le 5 mars ... » C'était comique, mais le rire devint amer, car ce secrétaire tout-puissant, .Biblioteca Gino Bianco II auteur de méchants articles de critique dignes d'un illettré, traquait à tort et à travers qui bon lui semblait, dispensait décorations et dignités, réclamait l'extermination de tous les « compagnons de route». Le suicide de Maïakovski s'explique dans une large mesure par cette véritable chasse à l'homme. Un mot à propos de Maïakovski. Avant de se tuer, il rédigea une lettre et inscrivit sur l'enveloppe le nom du destinataire. A qui cette lettre était-elle adressée? Sa famille, toute à son désespoir, ne s'en inquiéta pas. Mais Agranov, l'adjoint alors tout-puissant de Iagoda, spécialement chargé des cc affaires littéraires », qui se présenta aussitôt, s'en assura, lui, et la lettre disparut dans les archives du Guépéou. De cet Agranov, de son cc amitié » avec André Biély et Zamiatine, il faudrait aussi parler en détail. Après la chute de Iagoda, Agranov fut également fusillé ; son épouse, détenue en 1937-38 au quartier des femmes de la prison de Boutyrki, s'ouvrit les veines et resta avec un bras paralysé. A-t-elle été déportée, fusillée ? La mort d'Essénine, en 1925, est certes étroitement liée à sa maladie (voir son dernier poème : L' Homm.enoir) ; mais la maladie elle-même n'étaitelle pas une conséquence de l'impossibilité d'écrire et de respirer dans l'étouffante atmosphère du paradis soviétique? Une conversation que j'eus avec Essénine un an avant sa mort, à TsarskoïéSélo, m'autorise à répondre par l'affirmative. Dix ans plus tard, ce fut le tour de Marina Tsvetaïéva ; imprudemment rentrée au paradis soviétique, elle aussi se donna la mort ..• Il est temps d'en revenir à Averbach, au secrétaire général de la V.A.P.P. Tout-puissant au début des années 30, le déclin commença pour lui en avril 1932. Par un décret préparé sous cape par Maxime Gorki, qui avait quitté Sorrente pour Moscou et rêvait de se mettre lui-même à la tête de la littérature russe, la V.A.P.P. fut supprimée et son secrétaire général relégué dans une usine de l'Oural en tant que chef d'une cellule littéraire .
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==