Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

278 plus efficace de combattre l'opportunisme, poursuivait R. Luxembourg, il est étonnant de percevoir, au milieu de ces tendances blanquistes, des « échos du subjectivisme qui a déjà joué plus d'un tour à la pensée social-démocrate russe» : si à l'époque du populisme « le "moi" étouffé et réduit en poussière par l'absolutisme russe prend sa revanche en se mettant, dans sa pensée révolutionnaire, soi-même sur le trône et en se déclarant tout-puissant sous la forme d'un comité clandestin au nom d'une Volonté du Peuple qui n'existe pas», maintenant qu'est apparu à l'avant-scène un nouveau facteur social important, le mouvement ouvrier de masse, « le " moi " du révolutionnaire russe se met en avant et derechef se déclare le moteur de l'histoire, cette fois en la propre personne de Sa Majesté le Comité central du parti». Au cours des discussions qui avaient cours ces années-là à propos du bolchévisme à ses débuts, il arrivait qu'on mentionnât à l'occasion les analogies entre celui-ci et les tendances conspiratives qui avaient caractérisé les rameaux terroristes du mouvement révolutionnaire russe. Fait curieux, dans les années 30, on retrouvera chez certains historiens du bolchévisme ce désir d'établir une affinité entre populisme et bolchévisme ; mais on ne manqua pas de voir là une tendance à révéler le caractère antimarxiste des théories de Lénine, ce qui n'éta~t pas permis ... LA POLÉMIQUE et la lutte à l'intérieur de la fraction allaient leur train, mais l'état-major littéraire du menchévisme, à partir de l'automne de 1904, quand apparurent à l'horizon les premiers éclairs annonciateurs de la révolution, se plongea dans l'élaboration de ses propres conceptions politiques qui n'avaient pour ainsi dire rien de commun avec les centres d'intérêt du bolchévisme. L' lskra menchévique menait la campagne dite des zemstvo. Avec les événements de la première révolution, d'autres tâche~ surgirent : organisation et auto-organisation de la classe ouvrière, utilisation de la nouvelle situation politique et des « jours de liberté» à partir de l'idée, avancée par Axelrod, d'un congrès ouvrier pour toutes les Russies, d'qù devait sortir un grand parti ouvrier légal, un parti socialiste de masse. Après le 9 janvier 1905 furent à l'ordre du jour la représentation des ouvriers dans la « commission Chidlovski », la création des syndicats, l'utilisation des salles de conférence dans les universités, puis la campagne de protestation contre la « Douma Boulyguine »; enfin, à la suite de la grève générale d'Octobre, se posèrent le problème des soviets de députés ouvriers et celui de la naissance d'une presse socialiste. Potressov résuma la tactique menchévique dans une brochure consacrée à Axelrod, où il écrivait à propos des lettres de la _rédaction de l' Iskra sur la campagne des zemstvo: Bib·lioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Dans ces lettres passait l'idée qu'il était indispensable de mobiliser les masses ouvrières pour les mettre en contact immédiat avec le mouvement libéral-démocratique afin de donner à ces masses la possibilité d'opposer leurs propres revendications prolétariennes aux revendications politiques des classes possédantes. Descendant dans l'arène sociale où la démocratie libérale fait la loi, le prolétariat devait déclarer qu'il était disposé à soutenir l'opposition bourgeoise dans sa lutte pour la liberté et en même temps exiger de cette opposition qu'elle appuie ses propres efforts. On se proposait ainsi de renforcer la montée de la vague sociale en utilisant toutes les manifestations ouvertes des courants d'opposition de la bourgeoisie et en même temps de faire, dans cette expérience pratique, l'éducation sociale et politique des ouvriers dans un sens de classe, dans un sens prolétarien (p. 49). Ultérieurement, au congrès de Stockholm (1906), Axelrod préconisait de « reconquérir systématiquement» pour le parti et pour les masses chaque position « sur le terrain de la lutte ouverte et légale pour la liberté et les droits du peuple », en soulignant que « le parlementarisme le plus piteux, voire le plus caricatural (...), représente par luimême un énorme avantage » en comparaison de ce dont la classe ouvrière dispose réellement. Martov mettait en garde, dans l'Iskra (n° 85), contre le vertige de la révolution : « Il est absurde et nuisible de rêver, pour la social-démocratie russe, au monopole du rôle actif dans le soulèvement qui approche », écrivait-il après le 9 janvier. (A vrai dire, il permettait de «rêver» à l'hégémonie pour la classe ouvrière, pas pour le parti.) Il poursuivait (n° 86 de l'Iskra) : Que la tête ne nous tourne pas ! Celui qui perd de vue le but positif n'est pas un homme politique, ce n'est pas un serviteur du prolétariat. Le but positif, selon Martov, c'est la révolution bourgeoise, la réforme démocratique du régime, réalisée par toutes les forces social-progressistes du pays, sur lesquelles le parti du prolétariat doit exercer la plus forte influence possible. Plékhanov, depuis longtemps habitué à sa qualité de menchévik, écrivait dans le numéro suivant de l'lskra (n° 87) : Le parti du prolétariat peut s'assurer le soutien des éléments progressistes de la société sans se renier le moins du monde. Il nous faut, à la vue de tous, clairement et nettement définir notre prochaine tâche politique et nous abstenir de ces extravagances déplacées que d'aucuns considèrent comme des manifestations d'un extrémisme socialiste, mais qui, en réalité, portent plus que tout préjudice à ce dernier. # Ajoutons qu'au plus fort de la révolution, cette tactique réaliste se complétait et se compliquait d'une série de mots d'ordre empruntés à l'arsenal révolutionnaire, tel que le « développement de la révolution » sous la forme d'une lutte pour les idées d' « autodétermination révolutionnaire », laquelle devait être fondée sur le droit de « récupé-

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