Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

G. ARONSON P. Garvi, dans ses Souvenirs d'un social-démocrate, décrit de manière pathétique l'impression que lui firent les articles d' Axelrod, dont il prit connaissance en 1904 après son évasion de déportation et son passage à l'étranger : Les feuilletons d' Axelrod furent pour nous comme l'éclair qui illumine le ciel sombre et tout l'alentour. Axelrod mit au jour les racines sociologiques et historiques du bolchévisme et prédit à quoi peut conduire la victoire des principes léninistes, s'ils l'emportent dans la révolution à venir et s'ils impriment leur sceau sur l'Etat post-révolutionnaire (...). La consolidation idéo-politique du menchévisme n'a, dans le fond, commencé qu'avec la parution des feuilletons d' Axelrod (p. 395). ...Il [Axelrod] a été le premier à extraire, de cette gangue des différends sur l'organisation, le germe des différends politiques. Le premier, il a montré le danger de transformer le parti, en suivant la voie du bolchévisme, en une organisation de type conspiratif qui, sous le masque du marxisme orthodoxe, fera le lit de l'extrémisme petit-bourgeois qui se soumet la classe ouvrière et l'utilise à ses propres fins (pp. 4r r- r 2). Pour parer à ce danger, Axelrod préconisait de développer l'esprit d'initiative et l'éducation politique de l'avant-garde ouvrière, d'inciter les ouvriers à intervenir dans toutes les manifestations de la vie sociale et politique. Dans l' Histoire de la social-démocratie russe de Martov (2e édit., publiée sous le régime bolchévique à la maison d'édition « Kniga », 1923), nous lisons : L'analyse à laquelle P. Axelrod a soumis le bolchévisme s'est confirmée à chaque étape du développement politique de la Russie et n'a peut-être jamais été aussi actuelle que les tentatives du bolchévisme pour, de nos jours, faire passer dans la réalité la dictature des masses travailleuses. La dernière partie de la phrase était naturellement absente dans la première édition de l' Histoire de Martov, parue longtemps avant la révolution de 1917 dans le recueil en cinq volumes connu sous le nom de Mouvement social ( tome III). Le sens véritable des plans d'organisation de Lénine n'échappa point à Axelrod, qui sut y discerner la tendance à perpétuer, sous prétexte de lutter contre l'opportunisme, la tutelle des orthodoxes infaillibles sur le mouvement ouvrier naissant. Dans ces plans, tout était calculé pour assurer l'autorité personnelle des chefs et imposer la poigne de fer de l'organisation clandestine. Mais Axelrod s'intéressait avant tout à la problématique du mouvement. « La social-démocratie s'efforce de devenir une organisation politique des masses ouvrières », écrivait-il, mais en réalité ,celle n'est encore, par excellence, qu'une organisation des partisans du prolétariat parmi l'intelligentsia révolutionnaire ». Ce caractère de parti d'intellectuels, cette primauté des « révolutionnaires professionnels » dans le parti, c'était cela la maladie principale de la social-démocratie. Bib ioteca Gino Bianco 277 Axelrod ne se contentait pas de déplorer le « violent contraste » entre, d'une part, les conquêtes idéologiques et les victoires théoriques de la socialdémocratie en Russie, d'autre part, le caractère de sa pratique; il doutait que l'intelligentsia extrémiste dans son ensemble pût être vraiment la servante fidèle du prolétariat, la porteuse de l'idée socialiste : « La gravitation même de l'intelligentsia extrémiste en Russie vers le socialisme et le prolétariat, écrivait-il dans le style qui lui est personnel, n'est-elle pas conditionnée par la nécessité démocratique de secouer le joug des vestiges du servage ? » C'est précisément parce qu'il croyait si peu au caractère socialiste de l'intelligentsia du parti qu'il définissait le plan d'organisation de Lénine comme celui d'un « club jacobin, autrement dit d'une organisation des éléments révolutionnaires et démocratiques de la bourgeoisie» ayant ses propres objectifs, qui n'étaient ni ouvriers ni socialistes 7 • Petit à petit, la pensée menchévique se libérait de l'héritage légué par l' /skra des premières années du siècle, elle commençait à discerner ses propres voies politiques, lesquelles s'écartaient de plus en plus du fanatisme idéologique et du sectarisme organique particuliers à Lénine et à ses partisans, sans parler de certains traits patents de fanatisme intrinsèque. La réaction des socialistes occidentaux devant les controverses qui avaient scindé en deux le P.O.S.D.R. fut presque unanime. Martynov raconte, dans ses Souvenirs de l'époque du /Je Congrès du P.O.S.D.R., parus à Moscou en 1934, comment Victor Adler parlait alors avec irritation non seulement de Lénine, mais de Plékhanov lui-même, coupable, à ses yeux, d'avoir « séduit » Lénine par ses « discours jacobins ». Dans l'/skra (n° 66), Karl Kautsky appuyait sans réserves la position prise par les menchéviks au IIe Congrès : Si, à votre congrès, il m'avait fallu choisir entre Martov et Lénine, fort de toute l'expérience de notre activité en Allemagne, je me serais résolument prononcé pour Martov. Des militants qui étaient déjà des gens de gauche, des marxistes orthodoxes tels que Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg soutinrent les menchéviks. Dans un article intitulé : « Les questions d'organisation de la social-démocratie russe» (n° 69 de 1'/skra), R. Luxembourg écrivait, à propos des plans d' «ultra-centralisme» de Lénine : La démarche de ses pensées tend principalement à s'assurer le contrôle sur l'activité du parti, elle ne tend pas à féconder, mais à rétrécir, elle ne tend pas à développer, mais li resserrer les lacets, elle ne tend pas à unir le mouvement. Si la tutelle d'un comité central « omniscient et omniprésent » doit être pour Lénine le moyen le 7. Cf. A. Potrcssov : P. V. Axelrod, 1914.

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