Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

G. ARONSON jacobins. Les grandes figures de la Révolution française dominaient dans leur manière de concevoir la révolution. A vrai dire, partant du point de vue marxiste orthodoxe inspiré de Marx et de Kautsky, ils critiquaient l'étroitesse des vues sociales de Robespierre et la nature petite-bourgeoise de la politique jacobine. Leurs sympathies secrètes allaient aux mouvements hébertiste et babouviste, aux soulèvements des faubourgs ouvriers de germinal et de prairial 1795, tout en se rendant compte de l'utopisme des manifestations ouvrières de ces années-là. En fait, ils considéraient également comme utopiques pour le destin futur de la Russie les efforts pour prendre le pouvoir et faire la révolution socialiste... Cependant, les méthodes jacobines donnaient des ailes à leurs conceptions. Ne serait-ce que pour maintenir le processus, après le renversement de l'ancien régime, dans les limites du girondisme russe (qualifié de « cadétisme »), la révolution devait viser bien plus haut et s'engager beaucoup plus profondément, ce qui impliquait la priorité du jacobinisme dans l'action. Lorsque Lénine, dans son Que faire?, publié en 1902, c'est-à-dire avant le IIe Congrès, alla un peu plus loin qu'il n'était d'usage dans la socialdémocratie orthodoxe et en arriva à affirmer que dans la révolution russe, « un jacobin lié aux masses prolétariennes, voilà ce qu'est un socialdémocrate », la critique menchévique ne tarda pas à découvrir le danger de cette équivalence. Selon elle, la formule (jacobin égale social-démocrate) exprimait une théorie de substitution des classes : les fonctions des jacobins issus du milieu bourgeois étaient assumées par les jacobins prolétaires socialistes. Que cette critique ait été ou non justifiée, il n'en reste pas moins que les iskristes, avant, pendant et assez longtemps après le IIe Congrès, étaient des jacobins. Après avoir lu Que faire ? , Potressov n'écrivait-il pas à Lénine, en son propre nom et au nom des autres membres de la rédaction, une lettre enthousiaste datée du 22 mars 1902 ? : J'ai lu la brochure d'un bout à l'autre deux fois de suite et je ne peux que féliciter l'auteur. L'impression générale (...) [c'est que c'est] parfait (...). Je ne doute pas que l'ouvrage ait un grand succès et qu'il joue un rôle d'organisateur (Recueil Lénine, III, p. 286). Quant à Dan, il raconte que, lorsqu'en qualité de représentant de l' Iskra il se rendit à la conférence (au congrès) du parti à Biélostok ce même mois de mars 1902, dans le double fond de sa valise « étaient introduites en Russie quelques diuines d'exemplaires de Que faire? Les idées développées dans cet ouvrage étaient de la dynamite (...) ~ui faisaient exfloser l'unité des vainqueurs » ( c est-à-dire de 1 lskra, qui avait pris le dessus sur les autres courants de la pensée socialdémocrate). Le caractère explosif des idées de Lénine dans Que faire ? allait avoir bientôt des conséquencesencoreplus grandes.,ce que Dan ne pouvait alors prévoir. Biblioteca Gino Bianco . 273 Au FOND, l'unité de vues dans les rangs de l' lskra allait très loin. Qu'il suffise de dire que le mot d'ordre de la dictature du prolétariat2 fut inclus dans le projet de programme avec l'accord de tous; les objections de Plékhanov pendant l'élaboration du projet avaient un caractère technique. Or ledit mot d'ordre était absent de tous les autres programmes des partis socialistes (y compris le programme d'Erfurt) où il était question de la prise du pouvoir politique par le prolétariat. Au IIe Congrès, le seul à s'être montré hérétique jusqu'au bout sur cette question fut l' « économiste » et réformiste Akimov ; dans sa brochure intitulée Sur la question des travaux du ]Je Congrès du P.O.S.D.R., il fit remarquer assez justement et sur un ton caustique : « Beaucoup confondent dictature du prolétariat et dictature sur le prolétariat », pressentant en quelque sorte ce qui allait se produire après octobre 1917. Cette unité de vues (on peut dire aujourd'hui à juste titre : ce maximalisme des vues) avait auparavant reçu son expression dans la déclaration de principes faite par la rédaction de l' lskra juste avant la sortie du journal. La lutte contre toutes les variétés d'opportunisme était le souci principal des fondateurs : « Nous réprouvons les corrections hybrides, floues et opportunistes qui sont maintenant devenues tellement à la mode grâce à la main légère d'Ed. Bernstein. » On trouvait dans cette déclaration l'expression de l'idée favorite de Lénine sur l'organisation, véritable idée fixe : « Avant de nous unir et afin de nous unir, nous devons d'abord résolument et nettement nous différencier. » Ainsi, au lieu de s'efforcer à l'union, on entreprit de se distinguer des autres. Ces idées fixes sur l'organisation finirent au IIe Congrès par indigner certains iskristes euxmêmes, alors que le sens politique des différends était loin d'être clair pour ceux qui avaient levé contre Lénine l'étendard de la révolte. Cela est bien compréhensible quand on connaît l'état d'esprit de la majorité du congrès et les résolutions qui furent prises alors : non seulement Plékhanov, mais également Martov, ces futurs leaders du menchévisme, étaient en réalité parfaitement d' accord avec Lénine et ses partisans sur les questions politiques fondamentales. L'idée de se différencier de tout opportunisme - des révisionnistes, des économistes, des idéalistes - leur était commune avec Lénine. Les sorties contre les tendances autonomistes du Bund étaient faites dans un esprit centraliste inflexible aussi bien par Martov que par Lénine 3 • Martov, au nom de tous les 2. Textuellement : « La condition indispensable (...) de la révolution sociale est la dictature du prolétariat, c'est-à-dire la conquête par le prolétariat d'un pouvoir politique qui lui permette d'écraser toute opposition de la part des exploiteurs.» 3. Voici ce que dit P. A. Garvi sur les impressions du ne Congr~s dont lui fit part le bundiste Ionov après s'être évadé de déportation : « Tous les iskristes sont faits de la même pâte, ce sont tous des ccntralistes et des impérialistes. Martov ne vaut pas mieux que Lénine et Lénine pas mieux que Martov » (Souvenirs d'un social-démocrate, New York 1946, p. 365).

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