Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

162 La mort de Staline, survenue en 1953, et le xxe Congrès du Parti en 1956, amenèrent un profond changement de toutes les attitudes. La Weltanschauung (uniforme, quoique entachée de schizophrénie) que le despotisme de Staline avait imposée au pays tomba en pièces. Le monde que voyaient les hommes et les femmes soviétiques, éveillés de leur cauchemar,.était beaucoup plus complexe et troublant que celui qu'ils avaient imaginé. La redécouverte la plus importante était celle-ci : les pays étrangers n'étaient plus considérés comme les arènes d'une lutte de classe entre capitalistes et travailleurs, menée par les partis communistes à l'aide de subsides soviétiques. Ils devinrent, au contraire, des endroits plaisants qu'on pouvait visiter, où l'on pouvait faire des achats et dont on pouvait s'entretenir. Bien qu'un voyage d'affaires ou de tourisme à l'étranger soit encore une rare aubaine pour les Soviétiques, suffisamment de voyageurs, de retour au pays, ont dit à leurs amis et relations à quoi ressemblait la vie à l'étranger. Le courant inverse des touristes et des visiteurs étrangers en Union soviétique a contribué également au dépérissement de l'idée d'une révolution mondiale. Du point de vue purement humain, le touriste venu de l'Allemagne de l'Ouest, par exemple, intéresse beaucoup plus le Soviétiquemoyen qu'un communiste allemand. Il possède quelque chose que le Russe n'a pas et qu'il veut obtenir : un niveau de vie plus élevé, qui se traduit par une voiture rutilante, un stylo qui marche et des vêtements de bonne coupe. L'homme est un objet de curiosité, d'envie, d'admiration. Le communiste allemand, lui, est un être qui manque de choses que les Russes ont à foison: il en est encore à désirer voir son pays atteindre un stade que les Russes ont atteint depuis longtemps, et dont beaucoup sont aujourd'hui parfaitement blasés 3 • 3. Un excellent exemple de cette différenciation est cité par !'écrivain allemand Klaus Mehnert, qui se trouvait à Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE La redécouverte de la zagranitsa ( ce qu'il y a de l'autre côté de la frontière) comme source de plaisir s'accorde bien avec le caractère bourgeois de la société soviétique moderne. Bien entendu, les gens continuent de rendre l'hommage de rigueur aux vieilles thèses et aux vieux · slogans, ils continuent de parler et d'agir comme s'ils se souciaient de la révolution mondiale. Mais les citoyens soviétiques sont trop ·occupés à · essayer d'élever leur niveau de vie pour éprouver beaucoup de sympathie à l'égard de communistes étrangers, quels qu'ils soient, qui s'efforcent encore de fomenter une révolution dans leur propre pays. La société soviétique d'aujourd'hui est constituée par des gens d'esprit conservateur dont l'énergie est orientée, essentiellement, vers la construction, c'est-à-dire vers l'amélioration de leur propre sort. La révolution, ils l'ont appris d'après les récits de leurs pères, signifie guerre (civile ou internationale), typhus, famine, destruction des foyers. Aussi l'avenir du communisme international les laisse-t-il, pour une immense majorité, indifférents. C'est pourquoi la simple mention de la Chine les remplit de crainte et de méfiance. Autrement dit, la position prise par le Kremlin envers Pékin fait qu'il se trouve, événement d'une extrême rareté, d'accord avec la grande masse des citoyens soviétiques. VICTOR S. FRANK. (Traduit de l'anglais) Moscou en septembre 1955 à l'occasion de la visite du chancelier Adenauer. Un chauffeur de taxi lui dit avec beaucoup de désinvolture que la veille un de ses camarades, ayant un Allemand pour passager, avait versé dans le fossé. Mehnert, inquiet pour la sécurité de ses amis, lui ayant demandé de quelle sorte d' Allemand il s'agissait, reçut la réponse classique : « Dieu merci, c'était l'un des nôtres, sans quoi cela aurait provoqué un scandale dans le monde entier » (Klaus Mehnert : L'Homme soviétique, Paris 1960, p. 10). ..

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