Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

QUELQUES LIVRES Actualité de Rosa Luxembourg C'EST SANS AUCUN DOUTE en Italie que les écrits de Rosa Luxembourg trouvent, depuis la fin de la guerre, la diffusion la plus large, qui témoigne d'un intérêt certain du public. S'il peut arriver qu'un éditeur publie de temps à autre des ouvrages à fonds perdus, il -n'est guère concevable que plusieurs maisons d'éditions se lancent sans arrêt dans des opérations déficitaires. C'est dire_ que ces livres et brochures se vendent suffisamme_ntpour. être rentables, surtout quand il s'agit de gros volumes qui exigent une mise de fonds considérable, tels que L' Accumulation du capi,tal (près de 600 pages, éd. Giulio Einaudi, 1960) ou celui qui vient de paraître (716 pages) sous le titre : Scritti scelti 1 • Quelques mois auparavant, était sorti des presses un petit volume de 103 pages, intitulé Pagine scelte 2 • A part L' Accumulation, ouvrage de théorie économique, toutes les autres publications récentes ont trait à la doctrine politique de Rosa Luxembourg: il s'agit surtout de ses deux polémiques contre Lénine (1904 et 1918), des grèves insurrectionnelles de Russie (1905) et de la révolution allemande de 1918. Le choix est assez révélateur: il s'explique fort bien dans un pays où le fascisme avait, pendant vingt-trois ans, privé le mouvement ouvrier de la possibilité de se documenter aux sources et de discuter librement des problèmes posés au socialis,med'alors. Dans ce pays secoué au lendemain de la dernière guerre par une forte agitation révolutionnaire et menacé par un mouvement communiste d'une force peu commune 3,_il était plus nécessaire qu'ailleurs 1. Rosa Luxembourg : Ecrits choisis, présentés et annotés par Luciano Amodio, Ed. Avanti, Milan. 2. Rosa Luxembourg : Pages choisies, introduction de Mario Pinzauti, Ed. Azione Comune, Milan. 3. De tous les partis communistes occidentaux, le P.C. italien était le seul à posséder des dirigeants réellement intelligents. · Biblioteca Gino Bianco d'opposer· à la démagogie moscoutaire, dans les masses en effervescence, des arguments révolutionnaires capables d'endiguer la ruée stalinienne. Ce n'est pas avec les arguments de Turati, Vandervelde, Kautsky ou Jaurès (ne parlons pas de Bernstein...) que l'on peut arrêter des masses déchaînées sur la pente glissante. Il fallait donc opposer les illusions révolutionnaires pures de Rosa Luxembourg à l'imposture révolutionna~e sordide des staliniens. · Et ce n'est pas non plus un hasard si beaucoup de ceux qui commentent et préfacent ces éditions sont d'anciens communistes, des hommes sincères qui ont fini par voir clair et qui tentent de justifier à leurs propres yeux, en toute honnêteté, l'abandon de l'organisation et des principes pour lesquels ils ont combattu. En passant directement à l'aile droite du socialisme, ils se prendraient pour des « renégats ». Rosa Luxembourg leur fournit l'alibi qui préserve leur vertu révolutionnaire. Tel semble être le cas des commentateurs et préfaciers des deux récents ouvrages mentionnés. Cette. renaissance du « luxembourgisme » ne s'observe -d'ailleurs pas qu'en Italie. On l'a vue se produire en 1956-57 en Pologne et en Allemagne orientale, à un moindre degré en Hongrie, où la répres$ion féroce consécutive à la révolution de 1956 anéantit immédiatement toute possibilité d' expres~ion et de discussion. · En ·Pologne, où la tradition luxembourgiste était restée vivace dans les cadres d'un mouvement ouvrier avec lequel Rosa Luxembourg avait toujours entretenu des relations très étroites et où Gomulka dut temporiser avant de pouvoir raffermir sa dictature, on songea même, pendant les premiers mois de 1957, à éditer les deux écrits .antiléniniens de 1904 et de 1918. Si le raidissement du despotisme empêcha au dernier moment cette hérésie suprême, il n'en reste pas

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