Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

88 avait été réservée à l'académicien russe N. I. Vavilov, spécialiste des céréales de réputation universelle. La deuxième guerre mondiale fit passer les controverses scientifiques à l'arrière-plan, mais la domination de Lyssenko s'affirma de plus belle. On ignore encore, et on çontinuera certainement d'ignorer tant que le régime de Khrouchtchev durera, les raisons de l'arrestation de Vavilov pendant l'été de 1940: le célèbre botaniste, adversaire de Lyssenko, mourut le 29 janvier 1943 dans un camp de concentration, tandis que décorations et prix Staline pleuvaient sur le dictateur de la génétique soviétique. C'est seulement dans l'euphorie de la victoire, alors que beaucoup, en Russie même, espéraient en une certaine libéralisation du régime, que les adversaires de Lyssenko, devant les nouveaux progrès de la génétique occidentale, hasardèrent timidement quelques critiques envers ses thèses. Mais le Parti ne tarda pas à mettre le holà et à fulminer contre ces hérésies intolérables. La question du caractère de classe de la science fut de nouveau posée à la session tenue du 31 juillet au 7 août 1948 par l'Académie des sciences agronomiques, citadelle de Lyssenko. M. B. Mitine, pontife de la philosophie stalinienne et porteparole du Parti, y déclara : La doctrine de Mendel-Morgan est dirigée contre le peuple (...). Le généticien russe Doubinine et ses recherches présentent un exemple parfait d'une science sans contacts avec la vie, de recherches théoriques antiscientifiques, de génétique formelle pseudo-scientifique fidèle à la doctrine de Mendel-Morgan (...). Tous ceux qui s'opposent à la doctrine mitchourienne, elle vraiment scientifique et progressiste, seront balayés de la voie féconde du développement de notre science biologique d'avant-garde 2 • Quant à Lyssenko, il annonça à la séance de clôture que toutes les thèses de son rapport étaient approuvées par le Comité central du Parti. Cette approbation déclencha aussitôt une véritable chasse aux sorcières parmi les biologistes soviétiques. L'Académie des sciences de !'U.R.S.S., où les partisans de Lyssenko n'étaient guère nombreux, dut s'incliner. A une session de son présidium, tenue du 24 au 26 août 1948, l'académicien A. I. Oparine ... ...mit brillamment en lumière l'étape actuelle de la lutte idéologique en biologie, lutte devenue aujourd'hui particulièrement intense dans le monde entier (...). Or, les dirigeants de la section de biologie de notre académie n'ont pas pris position en temps utile (...). En admettant la possibilité du développement parallèle de deux doctrines, ils n'ont pris aucune mesure contre l'idéologie weismannienne réactionnaire (Pravda, 27-848). 2. La Situation dam la science biologique, compte rendu sténographique de la session tenue par l'Académie des sciences agricoles de !'U.R.S.S. du 31 juillet au 7 août 1948, Moscou 1949. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE S. V. Kaftanov, ministre de !'Instruction supérieure, souligna, au cours de cette session, que la coexistence pacifique était impossible dans le domaine de la science : Ce n'est pas par hasard que les partisans de Morgan se sont installés en Amérique (...). Ce pays est actuellement le centre d'attraction pour tout ce qui est réactionnaire dans les belles-lettres, dans la science, dans la politique. Les obscurantistes et les gardes-blancs, tels que Dobzanski et Matvéev, qui calomnient notre biologie et les apports de l'Union soviétique à la science, montrent leurs museaux par les chatières des portes cochères de l'impérialisme américain. Les J ebrak et les Doubinine leur font écho chez nous, tandis que la section de biologie de l'Académie des sciences se tient à l'écart du conflit (Pravda, 28-8-48). Kaftanov vilipenda l'académicien L. A. Orbeli, secrétaire scientifique de la section de biologie, ainsi que le neurologue S. N. Davidenkov, coupable d'avoir, dans son ouvrage Les Problèmes d'évolution et de génétique en neuropathologie, publié en 194 7, traité le problème de l'hérédité des maladies nerveuses conformément à la théorie chromosomique. Quelques jours plus tard, le même Kaftanov dénonçait dans les Izvestia (8-9-48) une série d'établissements de recherche et d'enseignement supérieur abritant des partisans de la « pseudoscience réactionnaire et idéaliste weismannienne », particulièrement nombreux parmi les professeurs des universités de Moscou et de Léningrad. Sous la pression du Parti, l'Académie des sciences fut obligée de déclarer dans la résolution de son présidium : La session de l'Académie fédérale Lénine des sciences agronomiques a mis en lumière l'essence réactionnaire et antipopulaire de l'orientation donnée à la science par Weismann, Morgan et Mendel. Elle a identifié chez nous les partisans de cette orientation (Pravda, 27-8-48). Les. conséquences de cette identification furent immédiates. L'académicien Orbeli, physiologiste de renommée mondiale, perdit son poste de secrétaire scientifique de la section de biologie ; l'académicien I. I. Schmalhausen, zoologiste éminent, dut abandonner la direction de l'Institut de morphologie évolutionniste, et le laboratoire de phyllogenèse de cet institut fut fermé. A l'Institut de cytologie, d'histologie et d'embryologie fut supprimé le laboratoire de cyto-génétique qui, « dirigé par N. P. Doubinine, avait adopté une attitude antiscientifique et prouvé au cours de plusieurs années son inutilité » ; le laboratoire de cytologie végétale du même institut dut également fermer ses portes. De plus, les deux instituts devaient subir une réorganisation complète dans un délai d'un mois. La persécution de tous les adversaires de Lyssenko s'étendit aux universités et écoles supérieures. Cette chasse aux sorcières de l'inquisition communiste, mise au service de Lyssenko

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==