Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

80 l'abolition du commerce privé, ses désirs, bien que la lutte battît son plein, étaient en train de se réaliser... La nep était morte bien avant que Staline eût annoncé officiellement qu'elle avait passé de vie à trépas. L'exploitation des classes moyennes non socialistes (paysans, petits commerçants, artisans, etc.), que Préobrajenski représentait comme la « loi de l'accumulation socialiste » et qui se traduisait par l'imposition de plus en plus lourde <lesditesclasses, par la disproportion entre les prix de l'industrie socialisée et ceux de la production paysanne, avantageait fort l'industrie d'Etat. Celle-ci accumulait les profits, recevait de l'Etat d'énormes crédits non remboursables, si bien que le capital fixe de l'industrie relevant du Conseil supérieur de l'économie, estimé à 5.900 millions de roubles en 1925-26, s'éleva, en 1:927-28, à 8.400 millions. Le prolétariat des villes vécut à ce moment son meilleur temps. Son salaire était supérieur à celui d'avant guerre. Par suite des bas prix payés aux paysans, les ouvriers s'alimentaient mieux qu'à toute autre époque d'avant 1914. Ils bénéficiaient, en outre, de la journée de 8 ou de 7 heures et d'une législation sociale qui les aidait beaucoup. Ainsi, sous la nep, les classes moyennes et surtout les paysans supportèrent le poids principal des charges destinées à développer l'industrie. Tel est le fait, exalté par la théorie de Préobrajenski, qui servit de point de départ à Staline pour son syllogisme : par suite de la pression [fiscale et économique] sur le paysannat, l'industrie d'Etat n'a pu être, de 1921 à 1928, que restaurée, tout en dépassant le niveau d'avant guerre; mais en accroissant cette pression [au moyen de la collectivisation forcée], il sera possible d'accélérer le rythme du développement industriel, de rattraper et de dépasser les pays capitalistes et de créer ainsi une base solide pour instaurer le socialisme. Il fallait avoir l' « audace » d'exercer cette pression, violente et sanglante, sur les paysans ; et Staline, avec sa mentalité d'Asiate, eut cette audace. QUEL FUT LE RETENTISSEMENT de l'abandon de la nep sur les grands chantiers de l'Etat soviétique ? On a tendance à croire que les fameux quinquennats furent une entreprise spécifiquement communiste fondée sur l'expérience économique du monde entier et favorisée par la politique du gouvernement soviétique. C'est une erreur. Arrivés au pouvoir en 1917, les bolchéviks nationalisèrent les banques, l'industrie, le commerce, les transports, mais il leur fallait évidemment arrêter un « plan » pour diriger la grande industrie passée des mains des particuliers à celles de l'Etat. Manquant totalement de connaissances dans ce Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL domaine, ils puisèrent les premiers enseignements sur l'économie planifiée non pas chez Marx, mais dans l'expérience acquise par l' économie allemande de 1914 à 1918. Lénine attachait à cette expérience une très grande importance : Notre tâche consiste à étudier le capitalisme d'Etat des Allemands et par tous les moyens de nous l'assimiler sans craindre d'employer des méthodes dictatoriales pour accélérer l' « occidentalisation » de la vieille Russie barbare. De 1915 à 1916, les Rouskié Viédomosti (la Gazette de Russie) publièrent sur le capitalisme d'Etat allemand des chroniques de Lourié, son correspondant à Stockholm. Lourié (Iou. Larine, dès 1917 éminent bolchévik) exposait avec éloquence les mesures prises par l'Allemagne en guerre pour planifier son économie. Ces chroniques avaient du succès et faisaient du bruit, surtout dans les rangs bolchéviques où la documentation de Lourié-Larine alimentait le défaitisme grandissant, le contraste entre l'organisation économique de l'Allemagne et le chaos de la Russie tsariste étant par trop évident. En recherchant d'autres guides, les bolchéviks se souvinrent qu'en 1897 (1898 ?), avait paru, préfacé par Kautsky, un ouvrage d'Atlanticus (sous ce pseudonyme se cachait alors le professeur Ballod), L'Etat futur, où, à grand renfort de chiffres, était mis en équations le problème de la transformation économique de l'Allemagne capitaliste en Etat socialiste. Invité par le gouvernement soviétique, Ballod se rendit en Russie et son livre (traduit en russe et publié pour la première fois en 1907 sous une forme abrégée) fut réédité en entier. Au demeurant, le livre de Ballod, avec ses calculs fondés sur des données fragiles, n'eut pas grand effet sur le développement de la planification soviétique. Il en fut tout autrement de l'ouvrage de l'éminent professeur V. I. Grinetski, Les Perspectivesd'aprèsguerre de l'irul,ustrie russe, paru en 1919. L'auteur faisait un exposé sommaire de l'industrie russe d'avant guerre, de sa désorganisation pendant la guerre et la révolution et esquissait un plan général de restauration. Ce livre produisit une très forte impression sur les militants communistes, peu au courant de ces questions techniques et nullement préparés à prendre en main la direction de l'économie. Au Conseil supérieur de l'Economie, à Moscou ou en province, tout communiste en vue avait le livre sur sa table de travail. La première édition fut immédiatement épuisée. Bien que Grinetski, antibolchévik notoire, eût écrit son livre dans l'espoir que le régime soviétique s'effondrerait et que « la bourgeoisie reviendrait au pouvoir », le gouvernement fit procéder à un deuxième tirage. Et comme il était gênant pour les Editions d'Etat de patronner un livre « contre-révolutionnaire », il fut décidé en haut lieu que l'Union centrale des coopératives de consommation en serait nominalement l'éditeur.

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