QUELQUES LIVRES taliste et à l'oppression du pouvoir politique ? Cent ans après, les structures sociales ne sont plus les mêmes; bien des espoirs ont été cruellement déçus, mais bien des illusions ou des naïvetés se sont dissipées. Néanmoins, les questions évoquées subsistent sous d'autres formes, à un niveau différent, sans peut-être avoir perdu de leur acuité. Les réponses qu'on leur donne ne sont pas beaucoup plus pertinentes, tellement sont difficiles les rapports de l'homme avec ses semblables. Le mérite des fondateurs de la première Internationale fut de poser ces questions sans se référer constamment à un dogme préconçu. Le mutuellisme proudhonien, le collectivisme bakouniniste, le communisme marxiste y sont des théories ouvertes appelant davantage la réflexion que des approbations fanatiques. L'Etat doit-il être conquis par le parti des travailleurs ou ceux-ci, organisés, doivent-ils détruire toute forme de pouvoir étatique ? La décision doit-elle être centralisée là où agit le pouvoir politique, ou bien doit-elle être dispersée entre de multiples centres simplement fédérés ? En dernière analyse, quel doit être le rôle de l'Internationale elle-même, une fin ou un moyen ? Une fin, c'est-à-dire le modèle d'un nouveau type de société, ignorant le centralisme autoritaire, ou un moyen, c'est-à-dire l'instrument d'un état-major visant à la conquête de la domination politique ? D'année en année, ces questions se posent avec plus de vigueur. Les oppositions, d'abord nuancées, s'aiguisent et se compliquent d'accusations ad hominen pour a~outir, au congrès de La Haye (1872), à de sordides débats où disparaît la raison d'être de l'Internationale. Appuyé par le Conseil général de Londres, Marx y triomphe de Bakounine, et du même coup il ruine l'organisation qui ne survit pas à cette victoire à la Pyrrhus. Les actes des quatre premiers congrès peuve~t être relus aujourd'hui avec fruit, tellement ils sont vivants et de bonne foi. La conférence de Londres (1871) et le con~ès _deL~ Haye (1872) ne sont plus que des machinatJ.onsou une fractJ.o? cherche à anéantir l'autre par des moyens adrmnistratifs où les idées n'ont point de part. Dans le préambule de 1864, l'Internationale proclamait que «les sociétés et individus y adhérant reco;11naîtront comme devant être la base de leur condwte envers tous les hommes la vérité, la justice, la morale, sans distinction de couleur, de croyance ou de nationalité » ( souligné dans le te~te). C'est pour avoir oublié ces règles de condwte, et non par suite de la tragédie de la Commune, que l'Internationale s'est effondrée. LES TEXTES ORIGINAUX sont introuvables ; les ouvrages historiques .n~ m~quent pa~, mai~ ils sont trop souvent rédiges dans ~n e~pr1t_part1s3.1?-. C'est pourquoi il faut remerc~er 1 In~tJ.tut uruversitaire de Hautes Etudes mtemattonales de Biblioteca Gino Bianco 53 Genève, et M. Jacques Freymond, de présenter un recueil de documents officiels de l'Internationale jamais réunis à ce jour. Comme le reconnaissent les éditeurs, leur liste en est très incomplète: ainsi les procès-verbaux du Conseil général ne sont pas encore publiés. En outre, ils ont volontairement limité cette liste aux années 1864 à 1873, au lendemain du congrès de La Haye ; mais l'Internationale se survécut à elle-même jusqu'en 1878, deux ans encore après la mort de Bakounine. Un premier volume contient, avec la célèbre Adresse aux travailleurs, rédigée par Marx, le texte du préambule et des statuts provisoires de 1864. On sait qu'il existe de ces statuts au moins trois versions, qui ne coïncident pas sur tous les points. Le recueil donne la version française, confirmée au congrès de Genève ( 1866), et celle qui fut rédigée par Charles Longuet, traduite de la version anglaise avec des oublis sérieux. Une quatrième rédaction des statuts fut publiée en 1871, que nous trouvons dans le second volume. Le premier volume renferme encore les comptes rendus des trois premiers congrès (Genève, Lausanne, Bruxelles), avec les rapports du Conseil général et des commissions, et les interventions en séance, plus quelques documents concernant l'Alliance de la démocratie socialiste. Le second volume contient les comptes rendus et résolutions des congrès de Bâle et de La Haye, les procès-verbaux de la conférence de Londres, les documents du congrès de Sonvillier, tenu par la Fédération jurassienne, et surtout quatre textes émanant de Marx ou d'Engels, mais publiés au nom du Conseil général et concernant principalement l'Alliance de Bakounine. Le premier est une lettre du Conseil général au conseil fédéral de la Suisse romande (janvier 1870) où Marx explique que sa présence en Angleterre, la« métropole du capital », est indispensable pour éviter que les trade-unions ne versent dans un conformisme bourgeois. Le second est une lettre confidentielle de Marx où il met en garde les Suisses contre les agissements de Bakounine. Le troisième est une circulaire du Conseil général (1872) sur l'activité de l'Alliance, circulaire intitulée Les Prétendues Scissions de l'Internationale. Enfin, le quatrième est le texte devenu introuvable d'Engels et de Lafargue, L'Alliance de la démocratie socialiste et l'Association internationale des travailleurs, long rapport publié par ordre du congrès de La Haye (1873) et pamphlet d'une grande violence contre Bakounine et ses partisans. Ceux-ci sont pour la plupart accusés d'être des escrocs, des policiers ou des délateurs, tels Benoît Malon et Jules Guesde, ce dernier « amnistié » plus tard, lorsqu'il se proclama «marxiste ». La brochure contient, entre autres choses, le récit de l'affaire Netchaïev, extrait des comptes rendus du procès de Saint-Pétersbourg, parus dans la presse russe, le Catéchisme révolutionnaire de Bakounine et les statuts secrets de l'Alliance des frères internationaux.
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