Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

DOCUMENTS Nous publions ci-dessous la partie essentielle d'un document révélateur. C'est le compte rendu, presque le sténogramme, rédigé par Kamenev lui-même, d'une conversation secrète qu'il eut avec Boukharine en juillet 1928, aussitôt après le Plénum du Comité central de l'Union soviétique, et à quelques jours du vie Congrès mondial. Depuis juillet 1928 le document n'a rien perdu de sa valeur. Qu'on se rappelle la situation du moment: Zinoviev et Kamenev viennent d'être réintégrés dans le P.C.; Zinoviev étant à Voronèje, Kamenev à Moscou, ce dernier reçoit une lettre de Sokolnikov l'avertissant que Boukharine désire lui parler. L'entrevue a lieu, Sokolnikov assiste en tiers à la plus grande partie de l'entretien et, aussitôt après le départ de Boukharine, Kamenev en écrit la relation pour son ami Zinoviev; la nuit suivante, certains détails lui revenant en mémoire, il complète son rapport. Il va sans dire que le document n'était pas destiné à la publication, aussi s'exprime-t-il en toute liberté, en des formules saisissantes. Nous n'en avons omis que le début (copie de la lettre d'entrée en matière de Sokolnikov et premières explications de Boukharine, sur des points de détail) et la fin qui comportait des redites n'ajoutant rien à l'ensemble du texte. Le commencement du texte que nous publions (§ 1, 2, 3) reproduit des propos de Boukharine à Kamenev. Après quoi, le texte est facile à suivre : il se présente sous la forme d'un dialogue, ou plutôt d'un monologue de Boukharine coupé de quelques questions de Kamenev. Chaque fois que Boukharine dit « vous » ( « les staliniens s'adresseront aussi à vous »), ce « vous » désigne Kamenev et Zinoviev. Kamenev transcrit ses propres interventions en mettant son nom, ou «moi». Les propos qu'il souligne (en italiques dans notre texte) sont ceux qu'il reproduit textuellement. Toute la seconde partie, le « complément », est une suite de propos placés dans la bouche de Boukharine et que Kamenev transcrit à mesure qu'il s'en souvient. Quelle lueur révélatrice à la fois sur la véritable situation dans les sphères dirigeantes de !'U.R.S.S. et sur la mentalité de certains chefs ! Quel commentaire à la lutte entre centristes et droitiers ! Sur le fond même il n'est que de rappeler l'appréciation de Trotski: « Ces " chefs " malencontreux, n'ayant rien compris, rien 45 prévu, ont un penchant naturel à apercevoir la cause principale de leurs mésaventures dans la perfidie de l'adversaire. Ainsi, ils se contentent d'attribuer des proportions géantes à sa personnalité, alors qu'en réalité elle n'en a nullement ... » Mais ce qui importe surtout c'est de replacer la conversation dans son cadre politique. Nous sommes à la veille de vie Congrès. Staline, une fois de plus, vient d'affirmer le « monolithisme i> du Bureau politique, il vient de dénoncer les bruits de désaccords au sein du « septemvirat » comme des calomnies lancées par les «trotskistes», cela au moment même où un membre de ce Bureau politique, par surcroît le chef de l'Internationale, se plaint d'être suivi par le Guépéou, de ne pouvoir téléphoner tant il est épié dans ses moindres gestes ... Cependant, qui donc a dirigé le Vl 8 Congrès [mondial], qui donc y a représenté la « ligne » officielle ? Qui, sinon l'être démoralisé qui va chez Kamenev en cachette, sinon celui qui pense que« Staline met en péril toute la révolution » ? ... Il est assez bon, n'est-ce pas, pour présider effectivement la plus haute instance de l'Internationale communiste ? Qu'est-ce donc qu'une telle façon d'agir sinon une formidable escroquerie politique ? Le vie Congrès [de l'l.C.], guidé par ce président << extraordinairement ébranlé », prend des décisions graves contre !'Opposition; il la condamne formellement. Mais que peuvent valoir ces « décisions » quand on leur donne comme toile de fond l'appréciation sur Staline « qui gouverne vers la perte de la révolution » ? Quel est le militant sérieux qui, ·devant ce cynisme et cette décomposition étalée, ne sentira pas le sol mouvant sous ses pieds, ne se posera pas la question : mais ... qui dirige l'Internationale ? Jamais situation n'a été plus tragique, jamais duperie plus capitale ne fut exercée envers les militants de base ... Naturellement, l'authenticité du document est indiscutable. Il a circulé en U.R.S.S. - où il a eu un grand retentissement - sans que rien ait pu en être démenti, confirmé au contraire par des précisions certaines, par le caractère même du dialogue. Depuis, la destinée de Boukharine est venue apporter une nouvelle consécration à sa véracité. LETTRE DE L. KAMENEV AG. ZINOVIEV [BOUKHARINE dixit] ... Maintenant, passons au fond de l'affaire. 1. Les choses sont allées si loin dans le Comité central et dans le Parti que vous (et aussi probablement les trotskistes) serez inévitablement appelés à jouer un rôle important dans la solution qu'on y apportera. 2. Je ne sais qùand cet~ se passera. Peut-être pas de sitôt car les deux parties craignent encore d'en appeler à vous·. Mais en tout cas, cela est inévitable dans quelques mois. Biblioteca Gino Bianco · 3. Je veux donc que vous sachiez quelle est la situation. Je sais, ou tout au moins -je suppose, que les staliniens s'adresseront aussi à vous. Evidemment, en tant qu'hommes politiques, vous utiliserez cette situation pour « vous mettre au plus haut prix », mais cela ne m'inquiète pas. C'est la ligne de conduite politique qui décidera, et je veux que vous sachiez autour de quoi la lutte est menée. · 4. KAMENEV Mais est-ce une lutte bien ·sérieuse ? ·

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