Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

20 non seulement fait instituer le suffrage universel pour l'élection présidentielle, mais fait accepter l'usage plébiscitaire du référendum, c'est-à-dire la possibilité, pour le président, de faire voter le pays sur n'importe quelle matière sans l'ombre d'un contrôle parlementaire. Dès lors, l'Assemblée n'avait plus qu'un seul recours contre l'omnipotence présidentielle : elie pouvait, en votant la censure, soit contraindre le président à accepter la démission de son ministère, soit l'obliger à affronter immédiatement une campagne électorale. Ce recours n'existe plus. Le président, désormais, considère qu'il peut soumettre au pays, par la voie du référendum, la question qui a provoqué le vote de censure. Or nous savons que, depuis 1962, il est maître de la forme et des termes de la question. Dans une certaine mesure, il est maître aussi de la date, et on imagine qu'il pourrait à l'occasion - à l'instar de William Pitt retardant arbitrairement, en 1784, la dissolution de la Chambre des Communes - gouverner quelques mois contre l'Assemblée, en invoquant des raisons d'opportunité pour ajourner le référendum. De toute façon, le contrôle de l'usage du référendum ayant été, en 1962, retiré à l'Assemblée, le président aurait toutes facilités pour, grâce à un judicieux emploi de la démagogie, faire désavouer l'Assemblée par le corps électoral. Celle-ci serait alors contrainte de tolérer un ministère qu'elle aurait censuré. Le contrôle parlementaire aurait vécu. CE n'est certainement pas par hasard que le chef de l'Etat a ainsi lancé l'idée de résoudre un conflit avec l'Assemblée par un référendum plébiscitaire renouvelant au président l'expression de la confiance populaire. En réalité, un conflit de ce genre est, à ses yeux, une manière de scandale. Tout son exposé du 31 janvier tend très clairement, on l'a vu, à poser que le seul pouvoir légitime est celui du président élu au suffrage universel 5 , et qu'aucun autre pouvoir n'a de légitimité, si ce n'est par une délégation perpétuellement révocable du président. On forcerait à peine les choses si l'on disait que le président, en articulant le 31 janvier son commentaire interprétatif de la réforme de 1962, a prononcé la nullité de la Constitution de 1958. L'essence de notre Constitution, désormais, pour le chef de l'État, c'est la réforme de 1962, réforme qui est l'expression même de l'esprit de la Constitution, réforme d'où doivent, par extrapolation, être ·tirées toutes les règles constitutionnelles. Le 31 janvier, le chef de l'État a déclaré caduque l' œuvre de M. Debré,· qui lui avait quelques années servi de eouverture, et il a fait passer au premier plan ses conceptions personnelles. Celles5. L'actuel président est rélu des notables, mais il considère sans doute - à tort, du reste - que le référendum d'octobre 1962 équivaut à une électio~ présidentielle. -- BibJioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ci, dans le système de 1958, contribuaient à l'harmonie de l'ensemble - à l'imparfaite harmonie de l'ensemble, comme nous avons alors tenté de le montrer 6 • Aujourd'hui, isolées, elles se découvrent selon leur vraie nature : la concepti~n du pouvoir du général de Gaulle n'est pas . différente de celle du général Bonaparte. · * • • LE GÉNÉRALBONAPARTE, à vrai dire, bénéficiait. de circonstances favorables, qui peut-être ne se retrouveront pas aujourd'hui. Deux ans et demi après son arrivée au pouvoir, quelques semaines après la paix d'Amiens - qui met fin à dix ans de guerre - Bonaparte se fait offrir le consulat à vie, qu'un référendum confirmera. Quatre ans après son arrivée au pouvoir, quelques semaines ap~è~ la fin de !a guerr~ d'Algérie - qui avait suivi la guerre d Indochine et la guerre mondiale -,- ,le général de _Gaupe s~ ,fait accorder, par referendum, le droit d'etre reelu au suffrage universel. Il n'a pas seulement perdu du temps par rapport à son. prédécesseur (et le temps, ici, importe fort, car t1 donne à l'adversaire le loisir de reconstituer ses forces), son succ€s est infiniment plus limité. Le consulat à vie faisait de Bonaparte une manière de souverain sans cour~nn~. L~ je~ne gé~éral ~tait déjà au port, à 1 abri de 1 obsedante 1ncert1tude de l'élection. Et comme il 3:cquérai~ le droi~ de désigner son suc~e~s~u~, il ne lu~ manquait plus q~'un titre et 1 heredite. Au prix de celle-là, la victoire du général de Gaulle est modeste. Elle lui permet tout au plus d'accroître ses chances pour un second septennat. Encore sa réélection, si l'on prend garde aux chiffres, paraît-elle incertaine. Seule une forte minorité du corps électoral a approuvé la Constitution de 1962, et cette minorité comprenait des adversaires déterminés qui_ apportaient leur suffrage non à l'homme: m~1~ au nouve3:u ~ystème. Aux élections qui su1virent, en dépit d une intervention personnelle du ~hef de l'É!at, ses _ca~didats n'obtinrent que le tiers .des voix expr1mees, représentant moins du quart des électeurs inscrits 7 • Nous avons d'ailleurs montré (dans l'article cité en note) que beaucoup d'abstentions ne faisaient pas ~arti~ de ce que les spéciali~tes appellent l'abstenttonrusme de structure, mais provenaient d'adversaires du général. de Gaulle qui ne s'exprimaient pas faute de candidat: ceux-là ne s'abstiendraient sans doute pas dans une élection présidentielle. Bref? après la paix d'Amiens, le premier consul touchait le but. Après la paix d'Algérie, le· géné- ~al de Gaulle n'a réussi qu'à élargir son collège electoral. 6. Cf. Le Contrat social, septembre 1959. 7. Nous tenons compte ici, non seulement des candidats de l'.U.N.R., mais de tous ceux qui avaient l'investiture gaulliste (cf. le Contrat social, juillet-aoftt 1963, p. 205, note. 3).. Les proportions exactes sont 34,58 % des suffrages exprimés et 23,78 % des électeurs inscrits.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==