Le Contrat Social - anno VIII - n. 1 - gen.-feb. 1964

16 Chine depuis 1949, assorties de cruels sévices à l'égard de la population, valent une foule d'ennemis au régime. 20 à 30 % d'une population de 650 millions d'individus sont d'anciens propriétaires fonciers, « koulaks » et paysans aisés ruinés par la réforme agraire, par la lutte contre la contrerévolution et par l'organisation des coopératives et communes agricoles. Mao compte également des millions d'ennemis parmi la petite et moyenne bourgeoisie industrielle et commerçante. Rien qu'en 1956, les communistes ont exproprié 2.200.000 établissements de commerce 26 • La dernière campagne contre les « droitiers » a fait beaucoup de victimes parmi les représentants de l'intelligentsia, de même que parmi les militants du Parti et des Jeunesses communistes devenus, pour Mao, des hommes inutiles ou dangereux. Les revers économiques, incessants depuis 1959, la sous-alimentation systématique et la pénurie des ·articles de première nécessité ajoutent au mécontentement de la population, pénétrant profondément l'armée elle-même, comme l'atteste le bulletin d'information secret de la Direction politique de l'armée chinoise pour 1961, dont le contenu a été récemment publié aux Etats-Unis. Dans une certaine mesure, la nouvelle orientation prise aujourd'hui par Mao en impose à l'intelligentsia chinoise, animée de sentiments patriotiques ; mais l'intelligentsia, celle du Parti comprise, est la première à se rendre compte du danger de cette orientation. Dans cette conjoncture, Khrouchtchev n'aura pas beaucoup de mal à attiser le mécontentement et à créer les conditions nécessaires pour éliminer Mao. Le Kremlin trouvera suffisamment d'auxiliaires en Chine pour s'en charger. Déjà en 1959-60, le bruit courait en Chine que les pérégrinations incessantes de Mao à travers le pays étaient motivées par les craintes d'un attentat, étant donn~ l'aggravation des rapports avec Moscou. AINSI, l'analyse de la phase actuelle du conflit sino-soviétique tend à prouver qu'il est encore trop tôt pour que Mao rompe complètement avec Moscou. Logiquement, il a besoin pour cela d'une préparation politique, psychologique et économique tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Isolée après la rupture si elle ne modifiait pas sa politique extérieure, la Chine ne _pourrait résister longtemps, sans l'aide économique de tiers, aux multiples moyens de pression de l'Union soviétique. Toutefois, ce concours suppose une politique de rapprochement des pays libres avec la Chine et un désir sincère de la Chine elle-même de se prêter à ce rapproche25. R. Kondratiev, A. Gratchev : Le Systbne étatique de la République populaire de Chine, Moscou 1959, pp. 25-35. Biblioteca Gino BiancoLE CONTRAT SOCIAL ment. Éventualité fort douteuse, car un revirement brutal dans la .eolitique intérieure et extérieure de Pékin signifierait l'abandon de la doctrine de Mao, c'est-à-dire sa mort politique.· Aussi, sans exclure des surprises toujours possibles en pays totalitaire, faut-il s'attendre que Mao poursuive sa lutte avec Khrouchtchev, avant tout à l'intérieur du mouvement et du bloc communistes. Cette lutte met dans une certaine mesure les communistes chinois et les communistes soviétiques à égalité de moyens, car elle permet aux uns et aux autres d'employer la même arme. En même temps, elle donne aux dirigeants chinois la possibilité d'appliquer leur tactique favorite, qui leur a si bien réussi dans la guerre civile : des négociations, puis la lutte ; de nouveau des négociations, puis encore la lutte; et ainsi jusqu'à la victoire finale, les négociations étant considérées non comme une cessation ou une suspension du combat, mais comme une manœuvre pour gagner du temps et regrouper ses forces. N'ayant pu obtenir les résultats désirés lors du. colloque de juillet à Moscou, la délégation chinoise a proposé d'interrompre les pourparlers et de les reprendre plus tard 26 • A peu près au même moment, on pouvait lire dans le Quotidien du peuple: Si les divergences de vues ne peuvent être éliminées aujourd'hui, elles pourront attendre à demain ; si elles ne sont pas éliminées cette année, elles pourront attendre à l'année prochaine. Le P.C. chinois tient compte de l'ensemble de la situation. Nous ne ménagerons pas nos efforts dans l'intérêt de la révolution prolétarienne mondiale. Le P.C. chinois a de la patience (...). Si nous n'arrivons pas à terminer les négociations au cours de cette session, nous pourrons en tenir plusieurs autres 27 • La délégation chinoise venait à peine de rentrer à Pékin, après les négociations stériles de Moscou, que Mao lançait déjà une nouvelle attaque plus violente que les précédentes. Les Chinois poursuivront cette attaque dans toutes les directions possibles, sans s'embarrasser des moyens, s'acharnant à ·atteindre leur principal objectif : discréditer la politique de Khrouchtchev. Quant au P.C. soviétique, son but est d'isoler le P.C. chinois dans le camp communiste - Khrouchtchev l'a indiqué dans son rapport au Comité central de juillet dernier - de dénoncer le manque de maturité idéologique et l'inefficacité pratique des dirigeants chinois, d'obliger Pékin à abandonner ses positions sous la pression de mesures de représiÜlles 28 • K. PAVLOV. ( Traduit du russe) ' . 26. Agence Chine nouvelle, 21 juillet 1963. 27. Quotidien du peuple, 13 juillet 1963. 28. ~pport de Khrouchtchev à la session du Comité central de juin 1963, Etoile rouge, 29 jajn 1963.

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