Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

rev11ehistorique et critique Je1 fait! et Jes idées Nov.-Déc. 1963 Vol. VII, N° 6 LES IMPOSTEURS DANS L'IMPASSE par B. Souvarine UNE PUBLICATION officiellede Pékin (il n'y en a pas d'autres en ce lieu), la Peking Review parue au . début de décembre, rapporte qu'au cours d'un dîner en février 1960, Khrouchtchev traita Mao de « vieille galoche usée, bonne seulement à être mise dans un coin pour se faire admirer». Cette révélation tardive, mais de source indiscutable, confirme la supposition deux fois émise ici que le communiste turc Nazim Hikmet ne faisait que traduire l'opinion des dirigeants soviétiques en disant de Mao et consorts : « Les Chinois sont des imbéciles. » Khrouchtchev s'y connaît en galoches, comme l'ont remarqué les d!légués aux Nations· Unies, et s'il a rangé Mao dans cette catégorie au début de 1960, c'est qu'il a dû former sa conviction au cours des années précédentes. On a donc lieu de penser, plus que jamais, que les entrevues d'août 1958 à Pékin, interprétées par la quasi-totalité des experts occidentaux comme acte de déférence accompli par Khrouchtchev chez Mao, ont été orageuses et pas pré~isément à l'avantage du foudre de guerre en papier. Avant de raconter l'histoire de la galoche, la presse chinoise avait qualifié Khrouchtchev de « bouffon lecteur de Bible et chanteur de psaumes », ainsi que d' « objet de risée » (N. Y. Times du 9 décembre). Les myriades d'idéogrammes dicté_s par Mao ont défini précédemment le Secrétaire des secrétaires comme menteur, dégénéré, renégat, félon, traître, vendu, profiteur, chauvin, raciste, aventurier, capitulard, scissionniste, etc., qui « se vautre dans la fange avec la clique renégate de Tito » et dont « toute l'eau de la Volga ne saurait laver la honte» (références dans nos articles précédents). Les Albanais ont fait écho à Pékin en stigmatisant ce « voyou » qui se livre à de l' « exhiBiblioteca Gino Bianco bitionnisme » et à du « libertinage » (ibid.) . Les amateurs de dépats idéologiques, fascinés par la différence entre l'orthodoxie et le révisionnisme, étant ainsi comblés, les vraies questions apparaissent sous une lumière plus vive. La discussion publique entre le bouffon et la galoche, quels que soient les prête-nom, est aussi un dialogue de sourds. « Il faut une coexistence pacifique », dit l'un. « Non, c'est la coexistence pacifique qu'il faut», répond l'autre.- « Ah ! vous êtes contre la coexistence pacifique », reprend le bouffon. « Parfaitement, nous sommes pour la coexistencepacifique »,rétorque la galoche. « Alors, vous ne ·voulezpas la coexistence pacifique », s'indigné le révisionnist~. « Oui, nous exigeons la coexistence pacifique», affirme l'orthodoxe. Et ainsi de suite (références dans nos précédents articles).·Khrouchtchev tire un avantage maximum des sottises de son antagoniste sur la guerre nucléaire en l'accusant d'envisager d'un cœur léger l'anéantissement de la civilisation et Mao s'évertue à faire oublier ses propos insanes en renchérissant su~.la coexistence pacifique dont ·il se prétend l'inventeur. La même comédie se joue quand le bouffon, récemment encore, déclare que « nous soutiendrons par tous les moyens la lutte des peuples contre l'impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme »(journaux du 21 décembre), ce qu'il avait déjà seriné mille fois plutôt qu'une et qui ne·le désolidarise en rien de la galoche dont il tient le même langage et qui le copie en pratique. Quant à distinguer entre la parole et les actes, on ne voit toujours pas en quoi l'orthodoxie diffère du révisionnisme. De part et d'autre, les querelleurs prennent soin de vitupérer les capitalistes sans se priver de leur acheter des céréales et des machines, ni de leur demander des crédits. Si la

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