Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

L'Expérience communiste LE KREMLIN ET L'ÉPOUVANTAIL ALLEMAND par E. Delitnars DEPUIS près d'un demi-siècle, la situation intérieure de l'U .R.S.S. illustre à merveille la constatation de Milovan Djilas, pour qui cc tout régime communiste n'est qu'une guerre civile larvée entre le gouvernement et la population». La guerre civile par les armes une fois terminée par la victoire des communistes, la fuite à l'étranger des cc gardes-blancs» et la consolidation de la dictature.du Parti, l'ère stalinienne, avec sa « liquidation des koulaks en tant que classe», ouvrit le règne de la violence, de l'arbitraire et de la terreur. L'asservissement des ouvriers et des paysans, l'abondante main-d'œuvre gratuite fournie par les détenus, les investissements démesurés faits au cours des plans quinquennaux dans l'industrie lourde aux dépens des besoins élémentaires de la population, ont permis à l'industrie de faire de grands progrès alors que l'agriculture ~t l'élevage socialisés périclitaient. Cet échec de la politique agraire sous Staline, aggravé par la raréfaction de la main-d'œuvre masculine, décimée par les déportations massives et par la guerre, la baisse constante du rendement des travailleurs industriels, sous-alimentés et obligés de cultiver eux-mêmes les exploitations agricoles auxiliaires de leur entreprise pour se procurer les légumes indispensables, tout cela a . imposé au pouvoir, après la mort de Staline, un changement complet d'attitude envers la population. La contrainte et la terreur n'ayant abouti qu'à un échec manifeste, il s'agissait, pour la cc direction collective», de faire travailler le peuple par la persuasion et les promesses, de permettre aux gens de respirer un peu plus librement, d'en finir avec la peur paralysante, d'améliorer tant soit peu les conditions de vie des travailleurs afin de les mettre en bonrie condition physique, de stimuler leur énergie par les perspecttves radieuses d'un progrès économique continu, de récoltes Biblioteca Gino Bianco toujours plus abondantes, de bien-être futur dans le communisme. Dans cet armistice entre gouvernants et gouvernés, le Parti, pour se concilier la faveur des masses, ne pouvait négliger aucune fibre de l'âme populaire qui puisse faire écho à ses propres efforts. Cette nécessité fut à l'origine de la courte euphorie du «dégel» post-stalinien. Mais l'impossibilité matérielle pour le KremUn de tenir ses promesses d'une vie meilleure, les échecs successifs du plan annuel des récoltes rendirent rapidement peu efficacestoutes les mesures d'apaisement. D'autre part, l'allégement de la pression policière et administrative permit aussitôt à la population de devenir plus exigeante et surtout plus audacieuse dans l'emploi d'une foule de subterfuges destinés à se soustraire aux desiderata des autorités. Contrainte de réduire ou d'annuler les bienfaits promis, voire d'imposer à la population des charges nouvelles, la « direction collective» est plus que jamais obligée de recourir aux armes psychologiques pour faire participer les masses à son effort 1 • Dans cet arsenal, l'épouvantail allemand est un engin particulièrement efficace. IL N'EST plus permis, de nos jours, de « douter de la ·permanence du composé humain, de la pérennité de sa constitution psychologique· (...). Devant la peur, devant l'angoisse, l'homme d'aujourd'hui réagit comme ses ancêtres 2 • » «Il existe des représentations ou images inconscientes, soit refoulées après avoir été conscientes, soit virtuelles, inscrites dans le psychisme héréditaire ou inconscient collectif et appelées à passer dans 1.. Cf. notre article : « Le Kremlin et le peuple russe »., in Contrat social, mai-juin 1963. 2. Professeur Jean Lhermitte : Le Problàne du miracle,~ pp. 225-26, Paris 1956.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==