Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

154 sadeurs, à rétablir la paix entre Khrouchtchev et Mao. Il ne sera donc pas inutile, en attendant l'issue des manœuvres opérées dans la coulisse, de récapituler aussi brièvement que possible les faits accomplis et les paroles prononcées sur la scène internationale. DEPUIS qu'à Moscou des voix officielles ont reconnu qu'« il ne s'agit plus pour nous d'un différend idéologique » et que «les prétentions chinoises se résument en fait en une seule phrase : donnez-nous des armes atomiques » (18 août), le marxisme et le léninisme apparaissent de plus en plus intempestifs en cette affaire. La conclusion, en juillet, d'un accord soviéto-américain sur l'arrêt des expériences nucléaires avait d'ailleurs déchaîné à Pékin des vociférations provoquant à Moscou des répliques d'où ont disparu les derniers camouflages idéologiques. La Pravda ayant rangé les Chinois aux côtés des «antisoviétiques professionnels du camp impérialiste », le Quotidien du peuple accusa les Russes de «fraude grave », de « capitulation », de «trahison », de connivence avec « l'impérialisme », d' « alliance américano-soviétique dirigée contre la Chine» (3 août). Peu après, le gouvernement chinois proclamait ( 15 août) que les dirigeants soviétiques « se sont trahis eux-mêmes et ont vendu les intérêts des peuples de !'U.R.S.S. et du monde »; il révélait que le 20 juin 1959, « le gouvernement soviétique a refusé de nous fournir un modèle de bombe atomique et les renseignements techniques nécessaires à sa fabrication, comme le stipulait un accord conclu le 15 octobre 1957 ». La Pravda ripostait (16 août) en disant que « Pékin a poignardé dans le dos le socialisme mondial », pour des « intérêts purement nationalistes ». D'idéologie marxiste-léniniste, là-dedans, point de trace. C'est alors que Khrouchtchev taxe de « férocité» les gens « qui sont prêts à sacrifier la moitié de la population de leur pays » et qui, une fois de plus, rompent avec le marxisme-léninisme. La Pravda du 22 août renchérit: «Non contents de faire front commun avec les pires adversaires du communisme - les réactionnaires impérialistes - les dirigeants chinois aspirent maintenant au rôle peu reluisant d'aile marchante des enragés américains, des revanchards de Bonn et des extrémistes français. » Pour les Izvestia du 24 août, les Chinois ont « non seulement violé les principes de l'Internationale socialiste, mais aussi les règles du droit international et de l'humanisme tout court », ont « foulé aux pieds certains principes de la civilisation mondiale». Là, il n'est plus question du prolétariat ni de lutte ou d'intérêt de classe. La Pravda du 27 août attaque le « racisme à rebo?!'s » des ~rigeants chinois dont le journal a publie sans reserves les propos d'un « réactionnaire jap~nais notoire » selon lequel les Chinois et les Japonais doivent être amis parce qu' « ils Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ont la peau jaune et la même langue écrite ». Mentalité de Tchingis Khan, commente la Pravda. Le 30 août, discourant en Yougoslavie, Khrou- . chtchev demande: «De quel droit ces gens [Mao '!t consorts] peuvent-ils parler au nom des· peuples... ? » (En effet, et de quel droit Khrouchtchev parle-t-il en sens · contraire ?) Pékin publie le 1er septembre une déclaration de 10.000 mots pour nier que la Chine soit disposée à sacrifier 300 millions de ses sujets et la moitié de l'humanité afin d'instaurer le· communisme, pour affirmer qu'elle veut la paix, que les leaders soviétiques racontent « des mensonges fantastiques et grossiers »car ils sont « si dégénérés qu'ils gagnent leur vie en forgeant des mensonges ». Ce document accuse aussi Moscou d'avoir« laissé tomber» la Chine lors de l'affaire de Formose en 1958 (confirmation de notre hypothèse). Les satellites s'en mêlent. Novotny, à Prague, dit que les Chinois « abandonnent les positions marxistes-léninistes au profit d'une politique de mégalomanie nationaliste» (journaux du 2 septembre). La presse albanaise (même date) traite Khrouchtchev de « voyou » qui use de « termes scatologiques », chose sans précédent dans « l'histoire du monde civilisé » et qui «malgré ses bouffonneries, son arrogance, son exhibitionnisme et son libertinage» aura des comptes à rendre. (Il existe donc un monde civilisé, au-dessus ou indépendamment des classes, et aussi de bonnes manières valables pour bourgeois et prolétaires.) Peu après, le Quotidien du peuple du 5 septembre verse l'huile d'une longue diatribe (20.000 idéogrammes) sur le feu de la dispute ; c'est pour dévoiler un « complot » soviétique datant d'avril et mai 1962, et consistant à attirer les Chinois (lire : des Kazakhs) en Sibérie par dizaines de milliers, à travers la frontière du Sinkiang; pour reprocher à la direction du P.C. soviétique ses velléités de « capitulation » en 1956 devant l'insurrection populaire en Hongrie; pour accuser Khrouchtchev d'avoir « complètement renié Staline » ·et « calomnié la dictature du prolétariat» au X.Xe Congrès du P.C. soviétique; pour conclure en imputant « d'innombrables infamies » aux dirigeants russes dont « toute l'eau de la Volga ne saurait laver la honte ». Il paraît qu'une réconciliation est concevable, après de tels outrages. Cependant on éprouve à Pékin le besoin de s'expliquer sur le« tigre de papier». Chen Yi s'en charge le 8 septembre en commémorant les « actions. héroïques » du peuple coréen contre les Etats-Unis: «La victoire a été remportée par le peuple coréen à l'époque où les Etats-Unis avaient encore le monopole des armes atomiques. C'est bien la preuve très nette que les armes modernes, y compris les armes atomiques, ne sauraient décider de l'issue d'une guerre » (sophisme,mais qui justifie nos vues sur la faute irréparab~e commise à l'époque). Le Drapeau rouge chinois dénonce, le 1 o septembre, une «nouvelle SainteAlliance » où entrent « l'impérialisme guidé par les· Etats-Unis, les réactionnaires d'Asie guiaés par Nehru, et les révisionnistes modernes aux-·

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