Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

258 après cela de citer les affirmations diamétralement inverses qui retentissent à travers le monde depuis la conclusion du traité de Moscou en juillet dernier : il faut abréger 3 • EN PRÉSENCE d'un tel dévergondage pseudoidéologique, bienheureux qui peut tracer une ligne de démarcation entre l'orthodoxie et le révisionnisme conformément à la distinction qui inspire le papier de M. Brzezinski. Surtout si l'on se rappelle que la Pravda du 7 janvier 1963 avouait enfin le caractère « subjectif» du conflit, tandis que le Quotidien du peuple, dans un éditorial cité par Mrs. A. L. Strong (The National Guardian, 3 janvier 1963), avait admis que « la cause priµcipale de la scission communiste fut la tentative de Khrouchtchev de dominer le mouvement communiste mondial par les décisions d'un seul parti », précisément la libido dominandi dont Pascal déplore la démesure. Raisonner sur les faits et les actes plutôt que sur des paroles et des conjectures, c'est se mettre en garde contre les agissements hostiles de Moscou plutôt que contre les innombrables idéogrammes de Pékin. Si les démocraties occidentales restent sous les armes et plient sous le poids des budgets militaires, est-ce à cause de l'orthodoxie ou du révisionnisme ? Il est satisfaisant pour l'esprit qu'un article insolite comme celui d'Adolf Berle_paraisse dans le New York Times (26 octobre) pour contredire la tendance générale de cet important journal, mais de telles satisfactions intellectuelles sont de plus en plus rares. On s'explique mal en lisant M. Berle qu'il soit exceptionnel de nos jours aux Etats-Unis et pourtant nécessaire de découvrir que partout au monde, de Cuba au Laos en passant par l'Amérique centrale, les entreprises de subversion qui harcèlent la civilisation relativement libérale et la politique extérieure américaine procèdent de l'immixtion communiste suspectée à Tirana de révisionnisme. Il ne suffit pas qu'une idée de Lénine mal motivée dans une brochure sur l'impérialisme ait été abandonnée par ses héritiers au deuxième degré pour que ceux-ci méritent l'éloge des Chinois résumé dans la dénomination de révisionnisme et justifient les espoirs que ce terme suscite à Londres et à Washington dans les âmes crédules. La verbomanie commune aux politiciens qui se disputent l'hégémonie dans les sphères communistes dissimule mal une mixture incohérente d'orthodoxie théorique et de révisionnisme pratique reflétant la même impuissance à conformer les applications concrètes-à l'utopie livresque. Comme s'il était besoin d'une illustration supplé3. Pour citations et références plus· nombreuses et plus comi:;lètes en cette matière, cf. dans Est et Ouest les articles substantiels de Branko Lazitch, n°8 291,~293, 299, 305, 307. Biblioteca Gin•oBianco LE CONTRAT SOCIAL mentaire à ce réel état des choses, elle-s'offre comme marée en carême et avec la note comique grâce. à M. Edgar Faure, toute récente recrue de l'ortho- · doxie marxiste-léniniste, à la date du 31 octobre. L'ancien chef du gouvernement français et nou~ veau missionnaire in partibus en Chine n'a pas seulement « rendu hommage àux réalisations qu'il a pu constater dans les domaines de ·l'agriculture et de l'industrie chinoises», dit une dépêche de Pékin; il a aussi déclaré textuellement : « La Chine et la France, deux pays d'ancienne civilisation, qui surent l'un et l'autre lutter pour leur indépendance, tous deux conscients de leur destin, ne peuvent aujourd'hui, par leur rapprochement de plus en plus étroit, qu'œuvrer utilement pour l'ensemble de l'humanité. » Pas plus aujourd'hui à Pékin ou à Moscou qu'au temps jadis à Rome, les augures ne doivent pouvoir se regarder sans rire. On comprend qu'après avoir éjaculé tant de venin, orthodoxes et révisionnistes aient eu le front d'évoquer récemment leur « amitié éternelle » : dans les deux circonstances, l'insincérité est la même. Ni Khrouchtchev quand il condamne en Mao un fauteur de guerre atomique, ni Mao quand il dénonce en Khrouchtchev un vendu à l'impérialisme, ne méritent la moindre créance. Certes, Mao a tenu des propos insanes sur les conséquences démographiques d'une guerre nucléaire éventuelle, mais il ne parle en vain que faute d'être capable d'agir effectivement: un armement chinois moderne est hors de question dans un avenir prévisible. L'an dernier, dans Le spectre jaune, nous avions cité à l'appui de nos vues à ce sujet celles d'un auteur américain averti, M. Adam Ulam, qui avait écrit dans le Reporter : « Il est douteux que, comme certains commentateurs occidentaux le prétendent, les Chinois désirent un holocauste nucléaire. Ce sont des gens intelligents. Mais ils sont convaincus que l'Occident peut et doit être harcelé plus brutalement et rapidement que Khrouchtchev ne se propose de le faire. » Selon notre glose, « douteux » était un euphémisme et « intelligents » une exagération : l'instinct de conservation supplée l'intelligence absente. Mais par souci de ne jamais sous-estimer l'ennemi, nous avons eu décidément tort de surestimer Mao et son équipe, pourtant sans les tenir en grande estime intellectuelle. Mieux vaut se tromper dans cette direction qu'à l'inverse et prêter même à des communistes dégénérés une conscience assez claire de leurs intérêts. On savait de Mao la mégalomanie, on ne le savait pas capahle de délirer autant que le révèlent ses prévisions sur le sort de l'humanité soumise au traitement thermo-nucléaire. Raison de plus pour ne pas confondre le principal et l'accessoire, pour n'être pas dupe du révisionnisme ni apeuré par l'orthodoxie, pour ne pas subir le chantage à la guerre mondiale qui fausse depuis quinze ans les Iapports entre les diverses parties du monde. B. Souv ARINE.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==