248 parce qu'elle s'avérait plus modérée, plus prudente que la « Volonté du Peuple », en partie bénéficiant du prestige de la social-démocratie allemande et occidentale. Quant à Lénine, son rôle a été « grossièrement exagéré et déformé » par ses apologistes dont les assertions sont contredites par toutes les sources antérieures à la révolution d'Octobre. Le Lénine terroriste, puis légaliste, des années 1893-1897 est encore hésitant, il se cherche, bien qu'on discerne en lui déjà certains traits de tempérament et de caractère, de chef et de manœuvrier, qui bientôt s'accuseront pour former l'auteur de Que faire ? et la personnalité exceptionnelle dont Plékhanov dira en I 903 : « C'est de cette pâte qu'on fait les Robespierre. » Le livre de R. Pipes est enrichi de notices biographiques introuvables ailleurs, d'une précieuse bibliographie et d'un index onomastique. Ce sera donc un instrument de travail de premier ordre pour les historiens et les sociologues qui voudront étudier sérieusement la Révolution soviétique depuis son inspiration première jusqu'à ses conséquences actuelles. B. SOUVARINE. De la justice politique PAUL BASTID : Les Grands Procès politiques de l'histoire. Paris 1962, Libr. Arthème Fayard (collection « les Temps et les Destins »), 393 pp. MALGRÉ leur apparence purement technique, les problèmes que posent l'existence et l'organisation d'une justice politique sont parmi les plus essentiels pour la civilisation, dans l'acception la plus large de ce terme. Ils sont aussi anciens que la vie de l'homme en société, cet être humain en qui Aristote voyait un «animal politique », ou selon une traduction jugée plus exacte, dans son Histoire des idéespolitiques (p. 81) par M. Marcel Prélot, un« animal civique» 1 • Dans quelle mesure la collectivité du moment est-elle en droit de se défendre contre les menaces internes et selon quel mode ? Questions primordiales, dans la théorie comme dans la pratique ; questions, aussi, d'une éternelle et souvent brûlante actualité : certains débats, certains arrêts et certaines lois relatifs à des juridictions concernant la « sûreté de l'Etat » l'ont confirmé, en France même, récemment. On commettrait donc une erreur en - négligeant ou en sous-estimant la portée de tels sujets. C'est dire l'intérêt que présente une étude nouvelle, et particulièrement compétente, consacrée à l'évolution de la justice politique à travers les âges par M. Paul Bastid. Peu d'auteurs eussent été aussi qualifiés pour cette vaste entreprise semée 1. Le professeur Marcel Prélot a présenté et annoté la Politique d'Aristote, en 1950, aux u Presses universitaires de France,. · Biblioteca Gino ·Bianco LE CONTRAT SOCIAL de tant d'écueils. Sa formation multiforme et les expériences diverses d'une longue vie l'autorisaient particulièrement à écrire sur un sujet qui nécessite à la fois les compétences de l'historien, du juriste, du philosophe (par les principes mis . ·· en cause) et du politique,. spécialités rarement . réunies en une même personne.· Or M. Bastid est _ le seul universitaire de sa génération qui ait présenté tous les titres requis pour enseigner à la fois dans les Facultés de droit et dans celles des lettres. Normalien, agrégé de philosophie, après la seconde guerre mondiale, membre de l'Institut, il a pu approfondir sa connaissance théorique du monde politique par sa carrière parlementaire de 1924 à 1940, puis sous la IVe République. Il présida la commission des Affaires étrangères de la Chambre, fut ministre du Commerce, appartint maintes fois à la délégation française à la Société des Nations, etc. Cet exercice prolongé du pouvoir législatif et, parfois, de l'exécutif, lui facilitaient l'exploration intellectuelle du contexte général dans lequel se situent les difficultés de tous ordres que la justice politique soulève dans la Cité. Ses Grands Procès politiques de l'histoire constituent une sorte de vaste enquête - n'est-ce pas déjà la signification initiale du mot grec « historia » chez Hérodote ? - sur les formes et les manifestations de la justice politique à travers les âges. Dans une suite de << tableaux », il étudie un procès de l'Athènes classique, celui de Socrate, deux de l'époque romaine (Verrès et Catilina), puis trois de la phase terminale du Moyen Age (dont celui de Jeanne d'Arc à propos de laquelle l'incroyant Anatole France écrivait qu'elle « aima la France d'un miraculeux amour »). L'auteur évoque ensuite quatre affaires marquantes de notre Ancien Régime, de la Renaissance à la chute : celles du maréchal de Gié sous Louis XII, de Cinq-Mars sous Louis XIII, de Fouquet sous le Roi-Soleil et de Lally-Tollendal sous le BienAimé. Puis il traite d'épisodes judiciaires considérables de l'histoire contemporaine, de la condamnation de Louis XVI à celle de Pétain. Comparant le procès fait, à un siècle et demi de distance, à ces deux chefs d'Etat « accusés d'intelligences avec l'ennemi», il estime que « la justice politique, toujours contestable en fait dans ses résultats, a réalisé d'incontestables ptogrès quant à la régularité de son administration et à la correction de ses procédures». Quoique la majeure part du livre soit çentrée sur la France, M. Bastid en a consacré une fraction non négligeable à l'Antiquité, et à l'Angleterre du xvue et du xv111esiècle, dont l'influence sur les institutions judiciaires et sur le droit public des pays occidentaux a été si grande. Il a écarté de son investigation les régimes fascistes et communistes de notre temps, mais, à la fin du volume, il traite de façon très suggestive du procès de Nuremberg. Ce chapitre est d'un intérêt particulier, car il concerne une des disciplines juridiques les plus nouvelles et, croyons-nous, les
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