L. LAURAT très élevé; la dernière base de l'illusion suivant laquelle seul le socialisme peut mettre en œuvre de grandes réserves exis~ntes de capacité productive, s'est évanouie (118). Il y a donc des résultats certains, quoique limités. Mais quelle est la part de l'action propre au mouvement socialiste et celle de l'évolution automatique d'un capitalisme qui, tout en ayant cessé d'être libéral, est toujours celui de la « libre entreprise» ? M. Smith ne dissimule pas son scepticisme : Dans les pays où des social-démocrates ont été au pouvoir - les pays les plus développés - où la puissance du travail organisé est maintenant suffisante pour empêcher le chômage (...) de remonter aux proportions et à la durée des années 30 et pour obtenir une certaine redistribution du revenu (...), les chances d'une transition à une société socialiste - une société sans conflit économique ni exploitation - ont été perdues, peut-être pour toujours 2 • ( ••• ) Des sociétés se développant dans cette voie sont exemptes tant de l'accablante pauvreté des régions sous-développées que des cruels tourments et conflits du capitalisme décrits par Marx, mais elles semblent, à présent, s'éloigner de tout ce qui peut raisonnablement être appelé du sôcialisme (202-203). Il en découle une mentalité nouvelle qui se développe dans les masses traditionnellement attachées au mouvement et aux partis socialistes: Ce qu'elles réclament, ce sont des salaires réels plus élevés, une durée du travail plus courte, le plein emploi, la sécurité sociale et des possibilités d'avancement ... (C'est probablement tout ce qu'avaient désiré dans le passé, la plupart des militants de base : la liberté et l'égalité sont des goftts inculqués ...) Désirent-elles une société sans classes ? Oui, dans la mesure où elle est compatible avec le maintien des aptitudes professionnelles, de la capacité de gestion et d'une initiative suffisante pour faire fonctionner au maximum les mécanismes complexes de l'industrie moderne (213-14). L'AUTEUrRegarde les choses en face, du moins quand il considère l'état d'esprit de la plupart des adhérents et des suiveurs du mouvement socialiste (et nous ajouterons syndicaliste) occi-, dental. Là est la « crise du socialisme démocratique du :xxe siècle » : Les objectifs limités du soulagement de la pauvreté extrême, qui marquaient son point de départ, ont été atteints grâce au développement du capitalisme moderne, qui a ainsi créé des étalons de valeur et des idéologies qui font que les objectifs ultimes du socialisme traditionnel ont cessé d'être attrayants pour la majorité 3 • (...) .S'il n'existe plus. une majorité de. ~a population fondant sur ses intérêts dominants de salariée la. revendication de la transformation d~ capitalisme en une économie collective, s'il n'y a plus qu'un assemblage 2. Souligné par nous. 3. Reste à S@,VOir si ces objectifs ultimes ont jamais pasaionné la majorité des classes laborieuses, même du temps de Jaurès, de Kerr Hardie, de Bebel, de Vandervelde et de VictorAdler. ibhoteca Gino ~ 1anco de groupes minoritaires avec des griefs limités dans leur portée et pas toujours compatibles entre eux quant aux solutions réclamées, alors la politique du parti qui s'efforce de les représenter ne pourra pas être plus homogène que les fondations sur lesquelles il tente d'asseoir sa puissance. Dans ces conditions, le parti ne saurait s'assigner d'objectif plus précis que de représenter ceux qui se rassemblent pour obtenir des réformes spécifiques et dont l'instrument évident est un parti fondé principalement sur les organisations de salariés. Ainsi, n'ayant pas de credo, il ne saurait avoir ses hérétiques; n'ayant pas de « ligne », il ne pourra ni discipliner ni exclure ceux qui s'écartent d'une «ligne» inexistante. A l'intérieur de la structure fédérale que cela impose, tous les groupes de réformateurs pourraient discuter en reflétant les tensions se manifestant dans la société et en faisant du programme du parti un miroir des mécontentements contemporains sans qu'aucun groupe engage l'ensemble par sa présence. Dans une telle structure, les protagonistes du socialisme pourraient jouer leur rôle et entreprendre de formuler leurs aspirations avec netteté et en fonction des conditions existantes (141-142). Quelle pourrait être, dès lors, l'action de ceux qui demeurent socialistes ? « A part les nombreuses tâches brûlantes ressortissant à la réforme sociale, le mouvement ouvrier tel qu'il est organisé à présent ne peut faire que peu de chose pour avancer vers le socialisme (p. 216). » L'auteur écarte les nationalisations massives sans indemnité, jugeant à juste titre cette idée indigne de « toute personne sérieuse connaissant l'économie et l'histoire ». Les nationalisations avec indemnisation ne lui paraissent d'ailleurs pas plus recommandables : selon lui, la collectivité n'en tire d'autre avantage, d'ailleurs peu substantiel, que la réduction des profits de monopole ; d'où les résultats décevants des nationalisations réalisées après la deuxième guerre mondiale. Cette thèse nous paraît erronée. L'indemnité, même équitable, comme ce fut le cas en GrandeBretagne, ne laisse aux anciens · propriétaires qu'une fraction de la plus-value (l'intérêt), l'autre fraction, plus importante (le bénéfice de l'entrepreneur), revenant à la cone·ctivité.nationale. Les nationalisations eussent donc dû se solder par des avantages certains pour ladite collectivité, surtout en France, où des indemnités dérisoires ne représentaient même pas le taux · d'intérêt normal. Si elles n'ont. pas répondu aux espérances, c'est, d'une part, parce qu'elles -furent, pour reprendre un mot d'Edouard Herriot, des -expropriations « pour cause d'utilité· -privée», et que, d'autre part, les circonstances -au lendemain d'une guerre (chaos économique, dépravation morale, impéritie et surnombre _'des nouveau~ gestionnaires) se prêtaient mal à une expérience collectiviste. De toute façon, M. Smith ne voit guère de possibilités d'œuvrer pour une transformation socialiste de la société occidentale contemporaine (« les chances ont été perdues») et ne laisse aux adeptes du socialisme d'autre perspective, qualifiée par lui d'« excentricité », que de reprendre l'expérience des phalanstères.
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