Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

Débats et recherches L'AVENIR DU SOCIALISME par Lucien Laurat LE SOCIALISMEco, nsidéré à la fois comme mouvement et comme idéologie, est en plein désarroi. Le mouvement plafonne, son influence ne parvient pas à s'étendre à des couches populaires autres que celles qui lui sont traditionnellement acquises, dans le même temps que la société occidentale dans son ensemble s'imprègne d'un état d'esprit « socialisant». Le malaise de l'idéologie socialiste est tout aussi patent : en témoignent les controverses à l'intérieur du Labour Party, la modification des programmes de la social-démocratie allemande et des socialistes autrichiens, les incessants démêlés dans le parti socialiste italien (P.S.I., à ne pas confondre avec le parti socialiste démocratique de Giuseppe Saragat) et les récents débats (juin 1963) du congrès de la S.F.I.O. C'est l'occasion de parler d'un ouvrage publié l'an dernier et dont l'auteur s'assigne la tâche de « reconsidérer le socialisme» 1 • M. Henry Smith a condensé en 22 5 pages de nombreuses réflexions et démonstrations fort pertinentes. Mais plus du tiers de son exposé traite de vieilles controverses sur la théorie de la valeur-travail, ce qui crée un déséquilibre entre les deux parties de l'ouvrage et s'imposait d'autant moins que le reste (chap. V à X) ne se rattache guère à ce point de départ. Tout en souscrivant à la plupart des conclusions de M. Smith, nous estimons que la théorie ricardienne de la valeur et la théorie marxiste de la plus-value demeurent des instruments d'analyse aussi efficaces que les thèses marginalistes. Depuis soixante ans, les interminables ratiocinations sur des hypothèses de travail - et les différentes théories de la valeur, toujours improuvables, ne sauraient être autre chose - ont fait perdre aux antimarxistes et aux marxistes, obligés de répondre, un temps précieux. Les uns et les autres s'accordent aujourd'hui sur bien des conclusions concrètes, lesquelles pourraient être tirées tout aussi bien des thèses originales défendues depuis le début du siècle par Antonio Graziadei dans sa théorie du « prix » et du « surprix ». Ecartons donc cette querelle scolastique pour parler de ce que l'ouvrage contient d'intéressant. I. Henry Smith : The Economies of Socialism reconsidered. Londres, Oxford University Press. Biblioteca Gino Bianco AVANTde caractériser le malaise du socialisme, l'auteur définit ce que l'on entend couramment • par socialisme. Il se borne à l'économie, le côté moral - liberté, dignité de la personne humaine, démocratie - lui paraissant aller de soi. C'est pourquoi il refuse de qualifier de « socialistes » les formations sociales d'au-delà le rideau de fer, « à moins que le mot " socialisme " ne soit dépouillé de tout contenu éthique et économique et assimilé à la tyrannie omniprésente de l'Etat ». SelonM. Smith, le terme « socialisme » implique, pour l'immense majorité des socialistes, « la propriété et la direction collectives d'une proportion substantielle de la terre et du capital de la communauté». Mais cette propriété collective n'est pas un but en soi : elle n'est que le moyen d'assurer à tous davantage de bien-être, de répartir l'abondance de manière plus égalitaire (justice sociale), de délivrer le monde du travail de l'obsession du chômage, d'alléger le fardeau du labeur, de faire que tous profitent du progrès technique, afin de mettre un terme aux conflits économiques en général et aux luttes de classes en particulier. L'auteur résume ainsi parfaitement les objectifs essentiels du mouvement socialiste depuis ses origines. On pourrait y ajouter nombre de mobiles moraux; M. Smith en parle d'ailleurs incidemment, mais il souligne que son propos se borne volontairement au plan économique. Il croit devoir insister en outre sur le fait que pour la plupart des socialistes - l'un des rares points où une thèse de Marx fût quasi généralement adoptée - cette transformation n'apparaissait possible qu'à un degré très élevé du développement des forces productives à l'intérieur même du système capitaliste. Ayant ainsi défini les objectifs classiques du socialisme traditionnel, l'auteur s'efforce de préciser en quoi consiste le malaise actuel : La banqueroute morale du communisme, les résultats limités du socialisme démocratique et encore davantage l'impossibilité de les distinguer de ceux du capitalisme libéralisé, indiquent que les objectifs jusqu'ici réalisés par les socialistes ne produisent pas tous les résultats désirés (p. 116). Dans le monde contemporain où, non seulement dans les économies « mixtes ,, d'Angleterre, de France et des Etats~Unis (...), mais encore dans des systèmes capitalistes presque « purs ,, comme celui d'Allemagne occidentale, l'emploi est resté pendant longtemps à un niveau

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