L. LABEDZ . services secrets allemands auraient fourni à Staline des faux concernant Toukhatchevski 36 • L'appel aux archives aurait traduit un désir réel de réhabiliter les officiers accusés à tort, et non pas la simple intention de manipuler l'affaire à des fins politiques. Le XXIIe Congrès fut suivi par une foule d'articles de presse consacrés aux chefs militaires réhabilités 37 • Tous reprirent le thème, maintenant courant, de la « diffamation » et de la « répression injustifiée». Il fut reconnu que Gamarnik se suicida parce qu'il ne pouvait se résoudre « à souffrir la fin tragique de tant de · fils loyaux de notre Parti, ni tolérer les répressions en masse entraînées par le culte de la personnalité » (Etoile rouge, 13 avril 1962). Et la nouvelle édition de l' Histoire du Parti contenait cette fois les noms de Toukhatchevski, Iakir et Ouborévitch (pp. 293, 539). Sans qu'il y ait encore eu aucune référence directe au procès de Toukhatchevski, la Pravda, à propos du 7oe anniversaire de sa naissance, publia, le 16 février 1963, un article où elle admettait qu'il 1vait été fusillé. Elle l'exonérait cette fois de son cc origine sociale » regrettable en rappelant qu'il était fils d'une paysanne et d'un petit propriétaire foncier. Peu de temps avant, la fille et les trois sœurs de Toukhatchevski avaient assisté à une réunion commémorative tenue en son honneur à l'Académie militaire Frounzé à Moscou (rapporté dans Trybuna Ludu, Varsovie, 1er février 1963). Notons que Toukhatchevski et Blücher se voient accorder une réhabilitation «philatélique» par l'émission de timbres-poste à leur effigie. Fantômes ukrainiens . LES RÉHABILITATIOoNntS été effectuées d'une manière aussi sélective et détournée dans d'autres sphères. Le cas de Mykola Skrypnyk est particulièrement instructif, parmi les réhabilitations des dirigeants antérieurement condamnés pour « déviationnisme nationaliste». Il illustre à merveille l'extrême importance de cette question dans l'Etat multinational qu'est l'Union soviétique. Et en ce domaine comme en d'autres, les réhabili36. Gomulka parla de cette histoire en détail au 9e plénum du Comité central du P.C. polonais (Trybuna Ludu, 22 nov. 1961). 37. Par ex., !'Etoile rouge publia des articles sur ~~nis (27 janv. 1962), Koutiakov (4 mars),. Tou~atchevski (2~ mars), Kork (s avril), Gamarnik (13 avril), E1deman (10 mai~ et Primakov (16 mai); les Izvestia, sur Toukha~chevski (27 déc. 1961), Iakir (6 fév. 1962) et Blücher (II mai 1962) ; Ogoniok, sur Ouborévitch (1961, n° 52, p. 26). Furent également publiés en 1962 : une brochure sur _Blücher par V. Douchenkine, Du soldat au maréchal; un livr~ ~ur les chefs militaires réhabilités, Capitaines de la guerre civile ; et un ouvrage contenant leurs mémoires. Ajoutons que la revue Oktiabr, de Moscou, n°8 2, 3, 4 et S, de 1963, et l'hebd~- madaire Nédéliq, de Moscou, n° du 2/8 juin 196j, ont pubbé plusieurs chapit-res d'un ouvrage apologétique de · Lev Nicouline: Le Maréchal Toukhatchevski, ,, narration documentaire », qui doit paraître bientôt aux Editions d'Etat. ibliùteca Gino Bianco 239 tations ne· peuvent manquer d'avoir une signification politique symbolique en raison de leur influence sur les aspirations nationales et les espoirs qu'elles autorisent. En Ukraine, le rapport entre les épurations et le problème national fut peut-être plus frappant que partout ailleurs. La fleur de l'intelligentsia ukrainienne fut fauchée au cours des années 30 par la campagne contre le « nationalisme bourgeois » 38 • La réhabilitation des victimes, timidement amorcée en 1956, s'accéléra ensuite. Cependant, le cas de Skrypnyk, devenu le symbole du « déviationnisme nationaliste», rencontra des obstacles particuliers et ne fut résolu qu'à contre-cœur. Les premiers pas furent faits après le xxe Congrès : Autant que nous pouvons en juger, il n'est nulle trace de déviationnisme nationaliste dans ce qu'a dit M. 0. Skrypnyk. Les quelques remarques erronées sur le problème national faites par lui plusieurs années plus tard ne sauraient servir de base à la calomnie d'un vieux fonctionnaire du parti bolchévik et du gouvernement ukrainien (Questions d'histoire, 1956, n° 3). Mais le processus de réhabilitation de Skrypnyk fut freiné en 1958 : on souligna à nouveau ses « graves erreurs nationalistes». Dans un article consacré au 4oe anniversaire du P.C. ukrainien, l'Ukraine soviétique (4 juin 1958) reprit un cliché familier : « Au début des années 30, le parti communiste ukrainien a dévoilé et condamné les erreurs nationalistes de Skrypnyk. » Alors que, pendant un certain temps, Skrypnyk avait été mentionné comme un historien du mouvement communiste et une victime du « culte de la personnalité », toute référence positive à son sujet était de nouveau proscrite 39 • Cependant, sa réhabilitation _n'_étaitqu~, suspendue. L'histoire du P.C. ukrarmen, publiee en 1961, le mentionnait en qualité d'an~ien membre du Politburo 40 , tout en gardant soigneusement le silence sur son rôle et son suicide. Puis, après le XXIIe Congrès, sa réhabï!ïtatio~ fut relanc~e. Le 25 janvier 1962, 9oe anruversru.rede sa nru.ssance la Pravda, les Izvestia et l'Ukraine soviétique '1e saluèrent comme l'un des vieux ~ompagnons de Lénine : selon la Pravda, « Staline rattachà Skrypnyk aux_ prétendus déviationnistes nationalistes et exagéra ses erreurs »; pour les Jzvestia, « ulcéré par les accusations injustes por38. Cf. Iouri Lavryne~ko ; Rozstriliane vidrodjéntÏf!, Biblioteka « Kultury », Paris 1959, et G. S. N. LuckYJ : Literary Politics in the Soviet Ukraine, 1917-1934, New York 1956. 39. Au sujet de la réhabilitation de Skrypnyk, cf. Panas Fedenko : ,, Mykola Skrypnyk : His National Policy, Conviction and Rehabilitation », in Ukrainian Review, Munich 1957, no 5. 40. Aperçu sur l'histoire duparti communisted'Ukraine, Kiev 1961, p. 389.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==