238 L. M. Spirine dans Questions d'histoire (1956, n° 6, p. 18). Peu après, le Kommounist (1956, n° 12, p. 70) l'accusa de « mauvaise organisation» dans l'offensive contre Varsovie en 1920. Autrement dit, sa réhabilitation se heurtait à des difficultés ; outre qu'elle mettait en cause le prestige de l'armée, elle supposait la révision de l'un des célèbres procès de Moscou, ce qui soulevait des questions de complicité personnelle dans cette parodie de justice 33 • Quelles qu'aient été les raisons, le processus de réhabilitation ne se poursuivit pas en droite ligne. Toukhatchevski fit tout d'abord l'objet d'éloges dans la Komsomolskaïa Pravda (23 août 1957). Parmi ses exploits, le journal choisit de le louer pour « ses actes héroïques accomplis pour la gloire de la mère patrie, le peuple soviétique et le parti de Lénine » pendant la répression de la révolte de Cronstadt en 1921. Environ la même époque, la Grande Encyclopédie le mentionna (vol. 50, p. 260) en tant que « grand chef militaire», et, un peu plus tard, Questions d'histoire (1958, n° 4, p. 34) le qualifia de cc chef militaire de valeur ». Ce processus aboutit à l'inclusion d'une note biographique sur Toukhatchevski dans le vol. 51 (p. 209) de ladite encyclopédie. Mais, tout en le comblant de louanges, l'ouvrage ne donnait aucun renseignement sur les circonstances de sa mort en 1937, date à laquelle il fut exécuté pour avoir prétendument comploté le démembrement de !'U.R.S.S. en faveur de l'Allemagne et du Japon. La seule référence publique à ces circonstances fur une déclaration d'Alexis Sourkov, alors secrétaire du syndicat des écrivains, au cours d'une intervie\v au journal yougoslave Mladost (2 octobre 1957) : « Le maréchal Toukhatchevski fut tué du fait des intrigues de la Gestapo.» Certains des coaccusés de Toukhatchevski furent également réhabilités. Eideman réapparut au volume 47 de la Grande Encyclopédie. La Lituanie soviétique (22 février 1958) ressuscita Poutna, « fils éminent du peuple lituanien. » Le maréchal Bagramian, dans le Kommounist (1958, n° 2, p. 37), rendit l'honneur à Ouborévitch et à Iakir. Toutefois, les réhabilitations de Toukhatchevski et de ses compagnons étaient encore sujettes à caution. Dans un article ultérieur, à l'occasion du 4oe_anniver~aire de l'Armée rouge, Bagramian ormt completement le nom de Toukhatchevski. Omission probablement non fortuite, car la nouvelle . Histoire du Parti, publiée plus tard, ne le mentionnait nulle part. Vorochilov était cité à 33. On ne sait si le procès a réellement eu lieu ou si le tribu~al militaire a simplement paraphé le jugement. Dans son discours devant le XVIIIe Congrès, en 1939, Vorochilov mentionna les « vils traîtres tels que les Toukhatchevski, Iégorov et Orlov ». Et Khrouchtchev qualifia Iakir de « racaille [qui] voulait ouvrir les portes aux fascistes allemands ,,. (Bolchémk _d'Ukraine, 19~, n° 6). Tous deux cités par L. P1strak, op. cit., pp. 151-152. Cf. également L. Pistrak: « Khrouchtchev et les tueries », in Contrat social, mars-avril 1962. . . . Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE ·coMMUNISTB propos de la répression de la révolte ·de Cronstadt ; Ouborévitch et Iakir étaient également absents de la liste des héros militaires de la guerre civile (p. 280). Ainsi furent à nouveau.« dé-réhabilités » Toukhatchevski et ses compagnons. MA1s les fantômes réapparurent une· fois de plus. Le volume IV de l' Histoire de la guerre ci'IJile, publié, fin 1959, par l'Institut du marxisme-léninisme, qualifiait Iakir de « capitaine renommé » et inscrivait Toukhatchevski parmi les « spécialistes militaires, les généraux et officiers de l'ancienne armée [tsariste] [qui] prouvèrent leur dévouement à la mère patrie et au peuple sur les champs de bataille de la guerre civile». C'était un compliment équivoque à l'égard de Toukhatchevski, pui~qu'il soulignait sa regrettable «origine sociale». En 1961, 4oe anniversaire de Cronstadt, Vorochilov lui-même publia un article rappelant les événements et reconnaissant le rôle . joué par Toukhatchevski; il glorifia aussi Poutna, « splendide chef militaire » 34 • Mais ce fut le XXIIe Congrès qui donna vraiment le branle en faveur des chefs militaires « réhabilités » et « dé-réhabilités ». Au cours du congrès, Polianski attaqua Vorochilov, l'accusant dé complicité dans l'épuration militaire de 1937. Il affirma que Vorochilov, qui était au moment des faits commissaire à la Défense, craignait que sa complicité dans l'épuration ne fût découverte et pour cette raison se rangea du côté du « groupe antiparti » en 1957. De leur côté, Chélépine et Khrouchtchev déplorèrent bruyamment le sort des victimes militaires de Staline. Dans son discours de clôture, Khrouchtchev déclara : Lorsque nous avons reçu un rapport selon lequel ni Toukhatchevski, ni Iakir, ni Ouborévitch n'avaient été coupables d'aucun crime contre le Parti et l'Etat, nous avons demandé à Molotov, à Kaganovitch et à Vorochilov: - Etes-vous en faveur de leur réhabilitation ? - Oui, nous sommes pour leur réhabilitation, ontils répondu. · - Mais c'est vous qui avez exécuté ces hommes, avons-nous dit avec indignation. Quand avez-vous agi selon votre conscience, à cemoment-là ou maintenant 86 ? Khrouchtchev afficha une indignation particulière devant l'exécution de Iakir - traité ·par lui de «racaille» en 1938, mais qui devenait à présent un « bolchévik pur comme le cristal » .:_ et mentionna une rencontre avec le fils de lakir en 1961. Quand il aborda le cas de Toukhatchevski, · · au lieu de se fonder sur les archives soviétiques, il parla d'une « histoire intéressante » répandue « dans la presse étrangère », selon laquelle les 34. Octobre, 1961, n° 3, pp. 142-156. 35. Pravda, 29 oct. 1961.
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