Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

L. LABEDZ que, depuis 1954, le collège militaire de la Cour suprême avait réhabilité 7.679 personnes, beaucoup à titre posthume. Réhabilitation juridique et réhabilitation politique sont cependant à distinguer : cette dernière ne suit pas automatiquement. Et même lorsque cela arrive, il peut s'écouler un laps de temps considérable entre les deux , . operatlons. Réhabilitation· manquée SI les révélations de Khrouchtchev au XXe Congrès soulevèrent la question de la réhabilitation publique des victimes du « culte de la personnalité », elles posèrent ipso facto le problème de la décision à prendre quant aux dirigeants de l' opposition assassinés sous Staline, y compris ceux condamnés lors des procès de Moscou. Plus encore que le déboulonnage de Staline, cela aurait pu soulever le délicat problème de la légitimité de ses héritiers. Tous les successeurs du tyran avaient appartenu à sa faction durant les années 20,. et la plupart des gens de la génération de Staline occupant des postes en vue étaient les bénéficiaires de ses crimes. Sans avoir tous directement trempé dans ses crimes, ils s'étaient tous hissés à leur poste sur les cadavres des « ennemis du peuple». Il n'est donc pas surprenant que le mécanisme de justice .rétrospective ait été mis en marche d'une manière sélective. Les staliniens liquidés au cours des années 30 furent réhabilités, alors que les adversaires de Staline, dans l'ensemble, . ne le furent pas. Dans la première catégorie, on comptait des hommes comme Kossior, Postychev, Tchoubar, Eikhe et Roudzoutak, tous vieux ~olchéviks et membres du Politburo de Staline. Parmi ceux liés d'une manière ou d'une autre à l'opposition contre Staline, seul Antonov-Ovséenko (qui se repentit et devint ambass~deur auprès de la République espagnole avant d'être liquidé à son tour) a été réhabilité ; les autres vieux bolchéviks éminents impliqués dans l' opposition à Staline ne le furent pas. Strictement parlant, certains des -accus~s des procès de Moscou - le fin du fin en mat1ere de Justice staHnienne - ne sauraient -prétendre à la réhabilitation posthume. Sokolnikov et Radek ne furent condamnés· qu'à dix ari.s de prison? e! Racovski à vingt ans ; et ~ucun commu?19ue n'annonça leur décès en pnso~, ~u, leu~ ~beration suivant les normes de la « legalite socialiste». Les principaux ac.cusés -. Tr~tski (~ondamné par connunace), Kamenev, Zmov1ev, P1atakov, Boukhaiine et Rykov - furent accusés, entre autr~s, de préparer l'éviction non seulement· de· Koss1or et de Postychev, aujourd'hui réhabilités, mais aussi de Molotov et de Kaganovitch, actuellement en disgrâce. Il est bien difficile d'être pr~phète en matière d'histoire : la Grande et la Petite Encyclopédie contiennent toutes deux mainten~t la biographie de Kossior et de Postychev, mais les Biblioteca Gino Bianco • 235 articles relatifs à Molotov et à K~ganovitch ont été éliminés. · Même Trotski, Kamenev, Zinoviev et autres anciens de l'opposition ne sont plus qualifiés d'agents de l'étranger, bien qu'on s'étende complaisamment sur leurs « activités antiparti et antisoviétiques ». Le silence sur le rôle joué par eux dans l'histoire soviétique est devenu moins total, et la déformation infligée à leurs actes se fait maintenant plus discrète. Pareilles falsifications sont plus difficilement réalisables qu'auparavant, et, en conséquence, de véritables tours de force ont été accomplis dans le domaine de l'historiographie 19 • Peu· à peu, on a laissé paraître certains documents, qui jusqu'alors avaient été supprimés; et bien que ceux-ci aient souvent été expurgés, il fallut concilier les « nouveaux » faits anciens avec les falsifications staliniennes encore en vigueur. En 1957, lorsque le livre de John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, fut publié à nouveau en U.R.S.S. après vingt-sept ans d'interdiction, une nouvelle préface expliquait le rôle de Trotski dans la révolution comme résultant de « l'inexorable logique des événements historiques qui forcent parfois les représentants de la ligne capitularde à parler et à agir à l'encontre de leurs propres convictions» 20 • D'autre part, dans les mémoires de certains vieux bolchéviks republiés récemment, les mentions des chefs non réhabilités ont parfois été supprimées, ou bien des passages du texte original ont été récrits de_manière à présenter ces personnages sous un Jour peu sympathique 21 • RÉCEMMENTil, a été admis qu'à l'occasion ces personnages pouvaient être présentés sous un jour moins défavorable. Dans un roman de E. Kazakévitch, Zinoviev apparaît comme une nature complexe, « éprouvant à l'égard de Lénine une tendre affection, presque un amour féminin, à la fois désintéressé et calculateur » 22 • En revanche, la tentative antérieure de E. N. Bourdjalov (dans Questions d'histoire, avril 1956) pour présenter un exposé plus véridique sur_la position . . 19. Cf. nos articles : « The Ministry of Truth without Big Brother », in The World Today, juillet 1954,.pp. 300-309, et « L'histoire du P.C. de l'U.R.S.S. », in Contrat socit#, janv. 1960, pp. 33-38. Cf. égalemen~ Alexander Dallin ·: « Recent Soviet Historiography », in Russia under Khrushchev, éd. par Abraham Brumberg, New York 1962, pp. 470-488, et Merle Fainsod : « Condition de l'historien soviétique», in Contrat soèial, mai-juin 1962. 20. A propos de la réalisation du film « Journées d'Octobre », d'après le livre de Reed, A. Vlassov et A. Mlodik révèlent que « dès que le travail sortit de la période préparatoire, des difficultés commencèrent à se présenter presque à chaque étape » (Neva, 1959, n° 1, p. 205). 21. Cf. S. V. Utechin : « New Publications on Party History », et J. Meijer: « The Civil Warin Russia: Sources», in Soviet Survey, 1957, n° 2, pp. 5-11, et 1959, n° 30, pp. 71·· 76. 22. Octobre, 1961, n° 4, pp. 8-63.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==