234 Léningr-adprésentait une grande importance pour Khrouchtchev, ce qui pourrait expliquer l'ascension de Kozlov. Parmi toutes les voix qui, plus tard, s'élevèrent au sujet de l' « affaire », celle de Kozlov brillait par son absence. A en juger par sa biographie, il devait pourtant bien savoir à quoi s'en tenir; cependant, il n'y fit jamais allusion, pas plus qu'il ne s'efforça d'incriminer Malenkov. Attitude bien différente de son successeur au poste de premier secrétaire de I'obkom de Léningrad, I. V. Spiridonov, qui, avant et pendant le XXIe Congrès, réclama des mesures rigoureuses contre ceux qui avaient « infligé de lourdes pertes aux cadres de l'organisation du Parti à Léningrad » 16 • L'attitude vindicative de Spiridonov traduisait-elle la rancœur des communistes de Léningrad à la suite des épurations de 1949 à 1952 ? Ou bien faisaitelle partie d'un plan dirigé contre le « groupe antiparti » ? Quoi qu'il en soit, lesdites mesures ne furent mises en vigueur ni durant ni après le XXIIe Congrès, malgré les accusations portées contre Malenkov et consorts lors du Congrès et la déclaration de Kozlov, pour qui les coupables << devaient répondre de leurs actes antiparti et criminels ». Ce fut encore Chvernik qui remit l' « affaire » sur le tapis.· Six mois plus tard, Spiridonov était relevé de ses fonctions à Léningrad 17 • DE TOUTEÉVIDENCEl'e, njeu de. cette bataille des réhabilitations n'est pas tant la résurrection des morts que la survie des vivants, tout au moins la survie politique. C'est pourquoi cette cascade d'accusations et d'aveux n'aboutit pas à un procès dans le genre de celui d'Abakoumov. Trop de membres du Parti ayant fait carrière sous Staline se trouvaient impliqués dans les épurations pour qu'on puisse songer à entreprendre une action en justice tout en réglant certains comptes politiques, même si les boucs émissaires étaient tout trouvés. Non pas que la chose soit impossible, mais jusqu'ici la prudence l'a emporté : les réhabilitations ont été présentées de manière à ne soulever aucune question de responsabilité personnelle. Tout d'abord, elles ont, d'ordinaire, été relevées de façon fort discrète. De plus, pendant la première phase, dans le cas de toutes les victimes qui n'ont pas survécu et qui, après réhabilitation, furent mentionnées dans les encyclopédies soviétiques, il restait un détail qui manquait à leur biographie : le fait qu'ils étaient morts de malemort, dans une prison ou dans un camp de travail forcé. Il n'y eut qu'une référence indirecte à ce sujet délicat dans un ouvrage en deux volumes, Souven.irssur Lénine (publié en 1956-57), dans lequel les notes biographiques relatives à douze des collaborateurs à cet . ouvrage se terminaient 16. Vie du Parti, 1959, n° 2. 17. Pravda, ·4 mai 1962. Biblioteca Gino Bianco , L'EXPÉRIENCE· COMMUNISTE par la phrase : « Fut victime de diffamation ennemie en... [suivait une date] ; réhabilité par . la suite. » La marche lente de la réhabilitation au cours des six dernières années peut se mesurer au cas· de l'un des collaborateurs à cet ouvrage, O. A. Piatnitski, qui fut secrétaire du Comintern. Bien que les éditions ultérieures de la Grande et de la Petite Encyclopédie mentionnent Piatnitski, aucune n'indique les circonstances -de sa fin ni celles de son arrestation. Il fallut attendre le 31 janvier 1962 pour que les Izvestia, dans un article consacré au soe anniversaire de sa naissance, dévoilent les circonstances de sa mort : il « tomba victime d'accusations sans fondement en 1939 ». Au bout de plusieurs années, la formule : « victime de diffamation ennemie », fut transformée en : cc victime d'une répression injuste». Cependant, en 1958 encore, la seule allusion au sort de Voznessenski, pourtant réhabilité, fut l'indication, dans la GrandeEncyclopédie ( vol. 51, p. 60), qu'il demeura à son poste « jusqu'à la fin de sa vie », ce qui est pour le moins vague. L'index du vol. 50 n'indique pas non plus la date de la mort d' « ennemis du peuple » tels que Boukharine, Zinoviev, léjov et Béria. Toutes ces tergiversations soulèvent la question suivante : que doit-on considérer comme une réhabilitation ? Toutes les victimes des épurations passées n'ont pas été blanchies ; celles qui l'ont été ne l'ont pas toutes été de la même manière ; enfin, toutes celles qui furent blanchies n'étaient pas des victimes des épurations staliniennes. Certains réhabilités, · comme Louna_. tcharski ou Pokrovski, moururent de leur belle mort, et ne tombèrent dans l'oubli ou ne furent discrédités que plus tard. Il y eut aussi le cas de réelles victimes, comme Ordjonikidzé, qui ne furent jamais ouv~rtement vilipendées, mais tout au contraire cc adoptées», et qui par conséquent n'avaient nul besoin d'être réhabilitées. Le processus de réhabilitation présente deux aspects : l'un politique, l'autre juridique. Du point de vue politique, la réhabilitation posthume est une opération symbolique : les personnes dont la réputation avait été systématiquement noircie, ou sur lesquelles on avait fait le silence total, sont « rétablies par écrit ». Cette réhabilitation peut être accordée sans aucune réticence, ou bien assortie de nuances si l'intéressé a bel et bien commis des erreurs politiques, qui n'étaient cependant pas des crimes. · . Sur· le plan juridique, la réhabilitation entraîne l'annulation de la sentence et parfois l'attribution d'un dédommagement 18 • Pareilles procédures commencèrent peu après la mort de Staline. Dans son discours secret de 1956, Khrouchtchev révéla 18. Le 8 septembre 1955, le Conseil des ministres de !'U.R.S.S. promulga un décret c concernant la durée de l'emploi, l'octroi d'un emploi et les droits à la retraite de citQyens injustement condamnés au titre du code d'instruction criminelle, et qui ont depuis été réhabilités •· ,.
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