L. LABEDZ ami intime de Staline (d'où la référence à CaïnStaline faite ultérieurement par Trotski), mais en 1935 il fut accusé d'utiliser les services de trotskistes et d'anciens aristocrates. Khrouchtchev l'accusa à l'époque de « trahir la révolution» et d'être trop bienveillant envers les ennemis du Parti 6 • Les deux accusations radicalement différentes portées par Khrouchtchev contre Enoukidzé - lui reprochant en 1935 son libéralisme et en 1956 la préparation de la terreur stalinienne - n'étaient peut-être pas sans corrélation et pourraient bien expliquer que la disgrâce posthume d'Enou- . kidzé dura quatre ans de plus que celle de son coaccusé de 1937, Orakhélachvili. Enoukidzé finit par être réhabilité en 1959. Ce fait, toutefois, ne fut révélé que beaucoup plus tard dans un article écrit par le petit-fils de son ami, le vieux bolchévik Chaoumian, et publié dans la Pravda, le 19 mai 1962, à l'occasion du 85e anniversaire de la naissance d'Enoukidzé. A l'encontre des remarques faites par Khrouchtchev à son égard, en 1956, Enoukidzé devenait « l'une des premières victimes du culte de la personnalité de Staline »; la Pravda attribuait sa chute au besoin de Staline d'exagérer son propre rôle dans l'histoire bolchévique de la Transcaucasie, tout en imputant l'acte même « au falsificateur notoire de l'histoire du Parti, au provocateur, à l'aventurier Béria ». Or, comme l'historien Boris Nicolaïevski l'a souligné, la chute d'Enoukidzé eut lieu avant que les falsifications historiques de Béria ne soient imprimées 7 • Béria n'était alors qu'un secrétaire du P. C. de Géorgie, et son rôle dans l'affaire n'aurait pu être que secondaire. L'histoire complète de la déchéance d'Enoukidzé n'est toujours pas écrite, mais elle fut très probablement liée à la préparation par Staline de la iéjovchtchina, dont le signal fut donné par le meurtre de Kirov 8 • LA COMPLICITÉ des présents maîtres du Kremlin dans telle ou telle liquidation explique très probablement le fait que certaines réhabilitations ont eu lieu plus tôt que d'autres. Mais les considérations politiques, plutôt que la responsabilité personnelle, ont constitué le facteur principal. Pendant les premières phases de la bitte pour le pouvoir après la mort de Staline, les chefs de la police furent accusés de tous les torts et le partage des responsabilités fut clairement établi entre le Parti et la police politique. Le cas de N. A. Voznessenski, président du Gosplan et vice-président du Conseil jusqu'en mars 1949, est un modèle du genre : bien que des chefs du Parti et des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur (M.V .D.) 6. Pra'Oda, 8 et 13 juin 1935. 7. Courrier ibdaliste, mai-juin 1962. 8. Cf. L. Pistrak : The Great Tactician, New York 1961, pp. 140-141. iblioteca Gino Bianco 233 aient été reconnus comme ayant contribué à sa liquidation, seuls ces derniers furent punis. Giuseppe Boffa, correspondant de l' Unità à Moscou, apprit la réhabilitation de Voznessenski dès le printemps de 1955 9 , mais le nom de ce dernier ne reparut dans une publication soviétique qu'en janvier 1956 10 • Un mois plus tard, dans son discours secret, Khrouchtchev révéla certains détails de l' « affaire de Léningrad », dont Voznessenski avait été victime, de même que Kouznetsov, Rodionov, Popkov et d'autres. (Leurs noms n'avaient pas été mentionnés par la Pravda dans son compte rendu sur le procès Abakoumov, publié le 24 décembre 1954, première révélation de l' « affaire ».) Khrouchtchev rejeta le blâme sur Staline (qui avait « personnellement » dirigé les opérations), Béria (qui avait fourni à Staline « certains éléments diffamatoires »), et Abakoumov (qui avait « inventé l'affaire »). Abakoumov fut fusillé, mais il est clair que d'autres grands dirigeants - Malenkov en particulier, et peut-être Kozlov - y trempèrent également 11 • Ce ne fut qu'après la défaite du « groupe àntiparti », en 1957, que Malenkov fut aussi accusé par Chvernik de complicité directe dans l'affaire de Léningrad 12 ; accusation reprise peu de temps après par Khrouchtchev, qui déclara que Malenkov en avait été l'un des principaux instigateurs 13 • Selon G. Boffa, Malenkov reconnut sa « coresponsabilité morale » ; le même auteur laisse entendre une responsabilité encore plus directe en affirmant que l'une des victimes, A. A. Kouznetsov, fut arrêté dans le propre bureau de Malenkov 14 • Frol Kozlov, actuellement membre du présidium du C.C. du P.C. de l'Union soviétique et premier vice-président du Conseil des ministres, fut envoyé à Léningrad en tant qu'organisateur du Parti en 1949 et devint secrétaire de l'obkom de Léningrad en 1952. Le premier secrétaire de l'obkom était à l'époque V. M. Andrianov, probablement un protégé de Malenkov. Il fut relevé de son poste en septembre 1953 et remplacé par Kozlov 15 , qui dans l'intervalle avait été relégué au poste de troisième secrétaire. Dans sa lutte avec Malenkov, tenir l'appareil du Parti à 9. La Grande Svolta,. Rome 1959, p. 25. 10. Questions d'histoire, 1956, n° 1. II~ Cf. R. Conquest : op. cit., notamment pp. 95-1u. 12. Pravda, 1 juin 1957. 13. Ibid., 6 juillet 1957. 14. G. Boffa : op. cit., p. 29. I. M. Tourko écrivit dans la Léningradskaïa Pravda (8 juillet 1957) qu'il fut convoqué en février 1949 dans le bureau de Malenkov, « où l'on fit tout pour me faire signer une falsification évidente ». L' Encyclopédie de Léningrad (p. 566) et la Grande Encyclopédi·e Soviétique (p. 168), toutes deux publiées en 1958, révèlent que Kouznetsov fut secrétaire du Comité central jusqu'en février 1949. 15. Depuis, alors que d'autres ont été réhabilités, le nom d' Andrianov a été expurgé de l' Encyclopédie de Léningrad, de la Grande Encyclopédie Soviétique et d'autres publications, procédure poursuivie aussi fermement à l'égard de ceux qui ont été disgraciés pendant l'ère post-stalinienne que pendant la période du « culte de la personnalité ».
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==