Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

232 euphémisme « l'emploi de méthodes d'instruction inadmissibles » afin d'obtenir leurs aveux. Peu après vint la première réhabilitation d'un membre important du Parti, un vieux bolchévik sur lequel la presse soviétique avait gardé le silence pendant treize ans. Le _6 mai 1953, la Pravda publia un décret décernant à Grigori Ivanovitch Pétrovski l' « ordre du Drapeau rouge du Travail ». Cette distinction lui fut attribuée, officiellement, à l'occasion de son 7 5e anniversaire; mais il s'agissait là d'un simple prétexte, son 75e anniversaire tombant en réalité le 4 février, alors que Staline était encore en vie. Pétrovski avait été président de la République d'Ukraine pendant près de vingt ans et membre suppléant du Politburo du P.C. ukrainien pendant treize ans. En 1938, il perdit toutes ses fonctions sans être publiquement chargé d'aucun crime. Il n'est pas· certain qu'on l'ait emprisonné, mais, dans l'affirmative, ce ne fut que brièvement; car, peu après, il s'installa à Moscou, où il devint un petit employé au musée de la Révolution. Pourquoi lui seul survécut-il parmi tous les membres du Politburo ukrainien de l'époque ? Les motifs de sa réhabilitation n'en sont pas moins mystérieux, mais ils semblent avoir un rapport avec la lutte pour le pouvoir après ·la mort de Staline, lutte dans laquelle l'Ukraine joua un rôle important 3 • Avant sa mort, survenue le 10 janvier 1957, parurent dans la presse quelques souvenirs de lui. Il eut droit à des obsèques nationales : l'urne cinéraire fut portée par Vorochilov, Souslov, Fourtséva et Kiritchenko, et scellée dans le mur du Kremlin. Et le 4 février 1963, date du 85e anniversaire de sa naissance, la Pravda publia un article commémoratif. A. Y. Kapler, le scénariste le plus réputé sous Staline, vécut aussi sa propre réhabilitation. Il écrivit les scénarios pour la série de films sur la révolution et la guerre civile, y compris « Lénine en Octobre » et « Lénine en 1918 », série qui joua au cinéma le même rôle que le Précis de l'histoire du Parti dans le domaine du livre : la période « héroïque » était traitée suivant la révision imposée par Staline, en passant sous silence la plupart des premiers chefs de la révolution. Kapler fut récompensé par l'ordre de Lénine. Pendant le conflit germano-soviétique, il devint correspondant de guerre, mais en 1943, sous prétexte d'échanges épistolaires avec la fille de Staline, Svetlana, il fut arrêté et envoyé dans un camp de travail forcé à Kotlas 4 • Libéré en 1955, il reprit sa carrière et se retrouva au premier plan dans le monde du cinéma. Il écrivit plusieurs scénarios et fit ,partie du jury du prix Lénine pour le cinéma . 3. Cf. R. Conquest : Power and Policy in the USSR, Londres 1961, pp. 21I-212. 4. Cf. A. Ekart : Vanished .without Trace, Londres 1954, pp. 214-215. . 5. Cf., par ex., Art du cinéma, 1961, n° 2., et 1962, n° 4, ainsi que Litératournaia Gazéta, 27 fév. 1961 et 22 mars 1962. . • Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE . COMMUNISTE En novembre 1957, la revue Littérature soviétique publia une nouvelle version de son ancien. scénario de « Lénine en 1918 ». Sous le titre, une · note laconique entre parenthèses : « Revisé, 1956. » Alors que, dans la première version, il avait· éclipsé ou même remplacé tous les autres dirigeants bolchéviks à l'exception de Lénine, Sta~ line brillait maintenant par son absence. Là ne se terminent pas les aventures de Kapler. Au début de 1962, il · expliqua dans la Litératournaïa Gazéta qu'un ami de sa fille, victime d'une accusation forgée de toutes pièces par le chef de la police de Sotchi, avait été maltraité et, pour finir, déclaré fou. La requête personnelle de Kapler auprès de Khrouchtchev en faveur du jeune homme était demeurée vaine par suite de l'intervention d'amis influents du haut fonctionnaire incriminé. Il est à supposer que, seul, le rang élevé de l' écrivain réhabilité permit en fin de compte de démasquer les coupables qui,. de l'avis de Kapler, essayaient de « rétablir les pratiques que le Parti avait catégoriquement condamnées une fois pour toutes ». Le bon grain et l'ivraie LE PREMIER des vieux bolchéviks à être réhabilité fut M. S. Kédrov, ancien membre de la Tchéka, disculpé publiquement le 17 décembre 1953 à l'occasion du communiqué annonçant le procès et l'exécution de Béria. Khrouchtchev déclara, dans son« discours secret» de février 1956, que Kédrov avait été « jugé innocent par le collège militaire. Malgré cela, il fut fusillé sur l'ordre de Béria. » Le procès des chefs de la police de Géorgie, Roukhadzé et Rapava, en septembre 1955, fournit l'occasion de réhabiliter certains des bolchéviks géorgiens qui périrent sous Staline, y compris M. D. Orakhélachvili, ancien président du Conseil des commissaires du peuple de la République de Transéaucasie, secrétaire du Comité central du P.C. géorgien de 1921 à 1937. Les circonstances de la mort d'Orakhélachvili sont encore assez ambiguës. Suivant la Pravda (20 décembre 1937), il fut fusillé en même temps que A. S. Enoukidzé le 16 décembre 1937, après un procès à huis clos ; à en croire la Grande Encyclopédie Soviétique (vol. 51, 1958), il mourut en 1940. Enoukidzé fut mentionné, parmi d'autres exemples sinistres, dans ,le discours secret de Khrouchtchev, en tant que signataire de la « directive» qui « servit de base aux abus massifs .commis contre la légalité socialiste». Khrouchtchev ne mentionna pas le fait qu'Enoukidzé - qui était secrétaire du Comité central exécutif des Soviets depuis 1918- tomba en disgrâce en 1935, lorsqu'il fut accusé par Iéjov d'être un « dégénéré politique ». Khrouchtchev lui-même, en juin 1935, fut chargé d'expliquer aux membres du Parti de la .ville de Moscou son exclusion. Jusqu'alors, .Abel Enoukidzé avait été considéré comme un

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