Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

• LE CHAPITRE DES «RÉHABILITATIONS» par Leopold Labèdz SELONun « mot » entendu à Moscou, la nouvelle Constitution, qui doit « porter la démocratie soviétique à un niveau encore plus élevé» 1 , ajoutera le droit de réhabilitation posthume à la longue liste des droits déjà garantis par la Constitution stalinienne. La réhabilitation a été une caractéristique importante depuis la mort de Staline. Bien que les raisons précises de la réhabilitation de telle ou telle victime des épurations soient demeurées obscures, la ligne générale suivie en la matière révèle la nature et les limites de l'évolution de la société soviétique depuis 1953. Les victimes de Sta1ine appartenaient à tous les milieux 2 • Parmi les notables communistes qui ·furent frappés, peu ont survécu. En conséquence, les réhabilitations dans cette catégorie ont été presque uniquement d'ordre moral. Même sous Staline, le phénomène n'était pas complètement inconnu. Le professeur Ramzine, accusé de sabotage au procès du fameux «parti industriel » en 1930, fut réhabilité par la suite : en qualité de directeur de l'Institut de thermodynamique au début des années 40, il reçut un prix Staline. De même, A. N. Toupolev, le célèbre ingénieur d'aéronautique, fut emprisonné en 1938, libéré en 1943, et plus tard nommé académicien et doté d'un prix Staline. Parmi les militaires, le (futur) maréchal Rokossovski et quelques autres officierssupérieurs (Gorbatov, Méretskov, Podlas), d'abord incarcérés, furent réhabilités et combattirent pendant la guerre. Mais ces réhabilitations concernaient des spécialistes et n'avaient alors aucune signification politique immédiate : le tyran n'accordait sa grâce que lorsqu'il avait besoin des services de l'ancienne victime. Au contraire, le trait essentiel des réhabilitations intervenues ces dix dernières années a été leur caractère sélectif; et c'est cet élément qui laisse entrevoir la signification poli1. Khrouchtchev, in Pravda, 26 avril 1962. 2. N0111prq,arons une ~tude plus d~taill~e sur ce sujet. Bibli'oteca Gino Bianco tique de ces réhabilitations et les rapports complexes entre le passé et le présent qu'elle implique. Ce choix reflète également le caractère moral du processus. Selon le Concise Oxford Dictionary, la «réhabilitation » est une restauration des privilèges, de la réputation ou de la situation. Lorsque le gouvernement français libéra Dreyfus de l'île du Diable et fit casser le jugement, il n'y avait aucune ambiguïté ou dissimulation de sa part. Les victimes de Staline, elles, n'ont pas droit à cette réhabilitation publique. Tout se fait de manière furtive, par étapes ; les victimes sont extraites des « oubliettes », le plus discrètement du monde, à la dérobée. Certaines réhabilitations commencèrent par l'apparition d'un nom dans les textes, d'autres par un portrait dans telle exposition ou tei musée. Il y eut des degrés dans la réhabilitation, suivant les besoins du moment. Si certaines personnes furent réhabilitées, leur œuvre ne le fut pas ou ne le fut que partiellement. Bref, il s'est agi essentiellement d'une opération politique : le redressement des torts n'a pas été le critère décisif. Le critère moral a été subordonné à des objectifs politiques et continue de l'être. C'est pourquoi un si grand nombre de victimes ne sont pas réhabilitées, bien que leur« culpabilité» tombe d'ellemême après ce qtµ a été reconnu officiellement sur la justice stalinienne. Les survivants LES PREMIÈlŒPSERSONNEqSui firent l'objet d'une réhabilitation officielle furent les médecins accusés en 1952 de sabotage, d'espionnage et de terrorisme. Le « complot des blouses blanches » fut répudié dans la presse soviétique le 4 avril 1953, et les accusés « complètement absous » par un communiqué du ministère de l'Intérieur. Deux des médecins arrêtés à l'origine manquaient à l'appel, sans aucun doute parce qu'ils n'avaient pu supporter ce que le communiqué appelait par

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