228 recte de n'importe quel problème de planification économique nécessitait le calcul des prix des achats et des ventes qui, en fait, correspondaient à l'offre et à la demande. Les prix obtenus par une méthode de planification linéaire sont appelés « prix fantômes ». Selon Kantorovitch, il ne faut pas en faire usage dans les transactions réelles, mais seulement dans le calcul du plan. L'idée des prix fantômes souleva immédiatement une vive controverse parmi les économistes : certains, tels l'académicien Nemtchinov et B. Bielkine, soutenaient Kantorovitch; d'autres lui reprochaient d'adopter les concepts économiques occidentaux. Mais, qu'ils approuvent ou non Kantorovitch, presque tous les économistes soviétiques s'accordent à reconnaître que les prix ont sérieusement besoin d'être revisés. Un courant de pensée distinct est né des insuffisances du système des stimulants économiques destinés aux directeurs d'entreprise. La question de l'indice de rendement devant servir de base aux primes des directeurs préoccupe les dirigeants, aussi bien Khrouchtchev que les directeurs d'entreprise et les économistes. Le mécontentement général concernant la valeur brute de la production (exprimée en roubles) en tant qu'index du rendement de l'entreprise a conduit à réviser, en 1959, le système des primes; les gratifications dépendaient désormais de l'abaissement du prix de revient et de plusieurs autres indices, le tout exprimé dans une formule des plus complexes. Cette réforme eut pour principal résultat de faire rebondir la controverse et de multiplier dans la presse les plaintes concernant les pratiques industrielles. D'ailleurs, rien n'indique que le nouveau système ait jamais été appliqué en grand. En septembre 1962, la Pravda dévoila la fameuse proposition du professeur le. Liberman, selon lequel la rentabilité devait servir d'indice primordial du rendement de l'entreprise. En outre, Liberman suggérait d'ajuster (en fait, de relever) certains prix, afin que tous les biens nécessaires soient produits. Peu après, le professeur Berg proposa de réviser radicalement les prix industriels, qui devaient couvrir les prix de revient entiers (Pravda, 24 oct. 1962). C'était, en fait, reprendre les idées de Kantorovitch, à cettê différence près que ni Kantorovitch ni le principe de la pénurie (l'offre et la demande) ne furent mentionnés 3 • Enfin, dans le sillage des critiques envers la planification et le rendement industrièls faites par Khrouchtchev au Comité central de novembre 1962, les économistes 1. Birman et B. Bielkine épousèrent les thèses de Liberman et de Berg, considérant la révision des prix comme une condition nécessaire de la réussite du critère de renta3. La distinction entre l'estimation en fonction du prix de revient entier et l'estimation en fonction de l'offre et de la demande est capitale pour les marxistes, comme elle l'est d'ailleurs dans la pratique. Même si le prix d'un article couvre le prix de revient entier, y compris l'amortissement, la production peut, à court terme, soit excéder la demande, soit ne pas y répondre. Biblioteca Gino Bianco . L~EXPÊRIENCE. COMMUNISTE bilité selon Liberman (Izvestia, 29 nov.). Comme Berg, ils voulaient que les prix soient déterminés . par les prix de revient entiers, y compris l'amortissement ; et, allant un peu plus loin que Berg, ils faisaient remarquer que les prix doivent tenir compte de la pénurie de certains types de marchandises et de la rente différentielle. (Les directeurs d'entreprise, moins préoccupés des prix que du désordre et du manque de coordination dans les plans concernant le. rendement de l'entreprise et l'approvisionnement, ont, en général, approuvé les simplifications - pas forcément celles de Liberman - qui laissaient espérer une réduction de la surveillance et de la tutelle tracassière sur l'entreprise.) Ces dernières propositions des économistes sont très proches du principe du socialisme de marché de Lange - à savoir, que les prix doivent être fixés pour rendre le marché transparent. Dans son commentaire favorable sur la proposition de Liberman, V. S. Nemtchinov prôna ouvertement l'emploi, par l'Etat, des stimulants de prix pour diriger la production, c'est-à-dire l'élévation du prix d'une marchandise dont l'Etat veut augmenter la production. Si les économistes disaient que les prix doivent délibérément servir à convertir les demandes du consommateur en modèles de production pour les fournisseurs, ils rejoindraient entièrement le concept de Lange. L'économie occidentale et les écrits de Lange sont bien connus en U.R.S.S. La presse y est pleine de doléances des clients à l'égard des fournisseurs. Certes, Liberman s'est défendu de vouloir saper la planification centrale - et en effet ses propositions, sous leur forme actuelle, ne le font pas, - mais la logique du calcul économique est inexorable : la détermination du prix en fonction de l'offre et de la demande serait le prochain objectif de certains économistes «libéraux», si les présentes propositions étaient adoptées. Ce petit progrès logique aurait cependant une énorme importance idéologique : les économistes proposeraient, en fait, de substituer à la planification centrale de la production des entreprises la<<main invisible » d'Adam Smith. · Quoi qu'il en soit, le trait commun de toutes les propositions des économistes et des chefs d'entreprise est la recherche de règles impersonn~ll~~et aut_om~tiquesqui puiss~nt remplacer la dec1s1onarbitraire ou bureaucratique : une règle de_la rentabilité pour les entreprises, une règle du prix de revient pour les prix, ou bien des règles de planification linéaire pour la planification centrale. Khrouchtchev et l'économie KHROUCH!CHEV est un paysan madré qui croit au commurusme et au bon sens sans voir d'incomp~tibilité entre les deux. II a passé sa vie à faire de la réclame pour le parti communiste et sa mission historique, mais les subtilités idéolo-
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