H. G. SHAFFER 1. Désireux de toucher le maximum de primes, le chef d'entreprise n'aura aucune raison de camoufler son potentiel de production ou d' essayer d'obtenir un plan de tout repos. Notons cependant qu'il en sera ainsi non parce que les profits deviendront la source des primes au directeur, mais pour les deux raisons déjà mentionnées : primes plus élevées pour l'exécution du plan que pour le dépassement de celui-ci, et assurance que l'honnêteté et l'efficacité ne seront pas « punies » par la fixation d'objectifs plus difficiles à atteindre. 2. La tentation d'accaparer des biens d'investissement sera bien moindre, les directeurs ne pouvant plus toucher de primes en se contentant d'exécuter ou de dépasser le plan quantitatif, sans tenir compte de l'investissement total ou additionnel. Il faut cependant souligner que, même d'après le schéma de Liberman, un surcroît de capital global non accompag11-éd'une variation des profits globaux aurait pour résultat un léger relèvement de la masse des primes d'encouragement. Les primes étant calculées comme des pourcentages du capital investi, on ne pourrait l'éviter que si la proportion des primes par rapport aux profits devenait une fonction croissante du taux de profit. Conscient de ce point faible, V. Tcherniavski, par ailleurs chaud partisan de Liberman, proposa que les déductions sur les profits pour l'attribution des primes soient calculées comme un pourcentage des profits globaux. Etant donné que dans son système le pourcentage croît en même temps que le taux de profit, un plus fort . accroissement du capital non accompagné d'un accroissement des profits globaux entraînerait une chute de la prime. Cependant il vaudrait encore la peine d'ajouter au capital, même si le taux marginal du profit était bien en dessous du taux moyen, étant donné que le produit des profits globaux coïncide avec le taux réduit pour les primes d'encouragement excédant la prime antérieure. Liberman ne semble pas se préoccuper du problème, puisqu'il veut que l'entreprise ne décide que des petits investissements courants. Pour lui, les décisions concernant les gros investissements échappent au directeur ou à l'administrateur : elles doivent être prises en haut lieu. Or tel est précisément l'état actuel des choses. Depuis la réforme industrielle de 1957, les décisions ayant trait aux petits investissements peuvent être prises au niveau de l'entreprise, alors que tous les projets de gros investissements continuent d'être décidés par les autorités centrales. Cependant, nous l'avons dit, l'accaparement généralisé de réserves inutiles de capital entraîne la mauvaise répartition d'éléments pour lesquels il y a pénurie. Pour venir à bout de cette anomalie, il semble que la seule solution raisonnable soit, pour les planificateurs, d'imposer un intérêt au capital, empêchant ainsi le directeur de faire franchir aux investissements la limite au-delà de laquelle l'efficacitémarginale du capital Biblioteca Gino Bianco 225 équivaut au taux de l'intérêt 21 • Les spécialistes soviétiques ne font pas fi des avantages .qu'il .y a à grever d'intérêts les investissements. Comment, autrement, effectuer un choix rationnel., en présence d'une tâche donnée, entre l'investissement A, qui implique au départ une grosse dépense, mais dans la suite des frais d'entretien minimes, et l'investissement B, qui, au contraire, entraîne au début une dépense peu importante, mais qui exigera dans l'avenir des frais d'entretien élevés ? Maints économistes soviétiques ont tenté d'introduire la notion d'intérêt par la petite porte, par le biais de la « période de recouvrement » 22 , Nemtchinov parlant même de planifier les «charges imposées au• capital fixe calculées sur des normes à longue échéance» 23 • 3. Le programme dè Liberman recèle des aiguillons nombreux et efficaces pour les inventions et la modernisation de l'outillage. Comme la plupart de ces aiguillons consistent en primes d'encouragement accordées non pour l'implantation de la nouvelle technique pour elle-même, mais pour les effets économiques de l'innovation technique pendant un laps de temps déterminé, les intérêts matériels des chefs d'entreprise semblent à cet égard coïncider d'assez près avec ceux de la collectivité dans son ensemble. 4. Comparativement à leur penchant à innover, les chefs d'entreprise seraient sans doute moins poussés à produire des biens « utiles », c'est-à-dire l'assortiment envisagé par les planificateurs. Certes, le nouveau système devrait les inciter à exécuter de façon plus satisfaisante le plan d'assortiment, puisqu'ils ne seraient crédités que des biens effectivement vendus. Il est également ce11ain que la nécessité de produire des articles conformes aux qualités, tailles, couleurs, etc., réclamées par le public augmentera à mesure que la société soviétique deviendra plus riche et que l'acheteur (qu'il s'agisse du consommateur lui-même, de «collectifs», d'entreprises ou de l'Etat) se fera plus exigeant. Il n'en demeure pas moins que les chefs d'entreprise, bien décidés à réaliser le maximum de profits, tiencbont à se concentrer sur les articles· 1es plus rémunérateurs en essayant de se dérober, chaque fois que ce sera possible, à tout plan d'assortiment qui contrarie leurs pr_ojets. Pour inciter les directeurs à produire des biens «u~iles», il faudrait réformer la structure des prix de manière que l'assortiment prévu soit le plus profitable. Et 21. Ce serait vrai à moins que l'échelle des primes ne permette de relever la somme globale des primes d'encouragement par suite d'une augmentation du capital total, même si le bénéfice net total devait baisser. L' « efficacité marginale du capital » est le taux prévu de rémunération sur une unité supplémentaire d'investissement. 22. Le délai de recouvrement ( srok okoupaïémosti) est le laps de temps nécessaire à récupérer sous forme d'économies ce qu'un investissement a coûté; en d'autres termes, le temps nécessaire pour qu'un investissement commence à payer. 23. Nemtchinov, /oc. cit.
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