224. tèrent ses arguments et suggérèrent quelques amendements 15 • Liberman en personne justifia chaque point de son programme devant· les modérés, accepta tel ou tel perfectionnement proposé par ses amis, mais se défendit énergiquement de vouloir, comme l'affirmaient les orthodoxes, mettre fin à la planification centralisée : « Le principe de la centralisation doit non seulement être maintenu, mais renforcé du fait que les organismes centraux seront déchargés d'un travail inutile et libérés de la tutelle qu'ils exercent sur les entreprises 16 • i> Le débat sans doute le plus favorable à Liberman eut lieu au Conseil pour les principes scientifiques de planification, filiale de l'Académie des sciences dirigée par Vassili S. Nemtchinov, l'économiste soviétique le plus éminent après Stroumiline·. Le Conseil « soutint l'initiative de Kharkov et recommanda d'étendre les expériences dans cette direction... » (Pravda, 21 sept. 1962). Le Conseil scientifique pour la comptabilité et les encouragements matériels, présidé par L. M. Gatovski, rédacteur en chef de Questions d'économique, déclara, à l'issue d'une session de deux jours tenue en septembre 1962, qu'il n'ét2it nullement satisfait du programme de Liberman, tout en proposant des· réformes qui recélaient des traces patentes de « libermanisme » 17 • Enfin, Khrouchtchev lui-même entra en lice. Au Comité central de novembre 1962, il fustigea les orthodoxes, rassura les indécis et encouragea les timides en rappelant aux délégués « la directive de Lénine, selon qui nous devons être capables, le cas échéant, de prendre des leçons auprès des capitalistes, d'adopter tout ce qui, chez eux, est sensé et avantageux». Tout en remettant à plus tard la décision finale, il donna sa bénédiction à Liberman en reconnaissant q_ueles indices e? usage << manquaient de précision )> et en souhgn.ant que le profit, au niveau de l'entreprise, est un indice d'efficacité de la plus grande importance 18 • I1 proposa de poursuivre les expériences de Liberman cc dans certaines usines de diverses branches d'industrie » et déclara que << les organismes de planification et l'Institut d'économique de l'Académie des sciences avaient pour tâche d'étudier soigneusement ces propositions (...) et de les utiliser pour améliorer la planification » (Pravda, 20 nov. 1962). 15. Cf., p.e., N. Antonov : « Le bénéfice est l'indice de base », in Pravda, 13 sept. 1962 et V. Tcherniavski : « Rentabilité et productivité du travail », in Pravda, 19 oct. 1962. 16. Liberman : « Réponse aux critiques ... », /oc. cit., p. 11. 17. Questions d'économique, 1962, n° 10. Voir le procèsverbal d'un débat sur le plan de Liberman au Diélovoï Kloub (Club des affaires), cercle groupant les principaux économistes soviétiques, in Bkonomitcheskaïa G~zéta, 3 nov. 1962, n° 45, pp. 34-43 et 10 nov. 1962_, n° 46, pp. 5-17. 18. Khrouchtchev donna quelques apaisements aux orthodoxes en soulignant que la rentabilité ne devait pas être un facteur déterminant de la politique nationale. Liberman lui-même n'avait jamais soutenu qu'il dO.ten être ainsi!. L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Analyse critique LESIDÉESde Liberman ont très favorablement impressionné certains spécialistes occidentaux, qui se sont empressés de lui coller l'étiquette · d' « économiste extrémiste », _ d' « hérétique » et même de «révisionniste». Il convient donc. de rappeler qu'il existe des précédents dans les économies << socialistes ». En Union soviétique, de nombreux économistes, parmi lesquels Liberman lui-même, ont proposé des réformes ces dernières années 19 , et dans plusieurs autres pays du bloc communiste des programmes analogues ont été effectivement expérimentés, d'ailleurs sans grand succès 20 • Le phénomène nouveau, cependant, c'est l'attention générale prêtée à Liberman, depuis l'automne dernier, par la presse soviétique et des groupes ou individus qui exercent une influence sur la détermination de la politique économique de !'U.R.S.S. Avant de porter un jugement sur les recommandations de Liberman, il faut répéter que le professeur de Kharkov ne songe nullement à substituer à la planification centrale le fonctionnement automatique des lois du marché. Les principaux objectifs continuent d'être déterminés par l'organisme central de planification. Une plus grande liberté pour les ,directeurs d'élaborer des plans auxiliaires, une structure des prix plus adéquate et le rôle accru des profits au niveau de l'entreprise, tout cela n'a qu'un but : permettre d'exécuter de manière plus efficace les tâches prescrites par le gouvernement. Il y a donc lieu de se demander avant tout si l'adoption de ces grandes lignes accroîtrait réeJlement l'efficacité, et si oui, dans quelle mesure. PEUT-ONattendre du programme de Liberman qu'il pallie les défauts du présent système d'encouragement analysés ci-dessus ? 19. Par ex., Liberman et Gatovski in· Kommounist, 1959, n° 1 ; V. S. Nemtchinov in Questions d'économique, 1960, n° 12. 20. Parmi les raisons de l'échec relatif de ces expériences, la répugnance des gouvernements des diverses Républiques à déléguer suffisamment d'autorité aux directeurs et l'absence d'une structure des prix reflétant la pénurie relative ont assurément une importance prépondérante. Cf. Bela A. Balassa: The Hungarian Bxperience in Economie Planning, New Haven 1959, p. 107; Miroslav Rosicky : « Organisation et direction de l'industrie et de la construction dans la République socialiste de Tchécoslovaquie», in Cahiers économiques · tc~éco!lovaques, Prague 1962, vol. II, pp. 49 et 52; Rudolph B1camc : « Interaction of Macro- and Micro-economic Deci- .cions in Yugoslavia, 1954-1957 », in· Gregory Grossman; Value and Plan, Berkeley et Los Angeles, 1960, p. 353 ; Albert Waterson : Planning in Yugoslavia, Organization and l'!'plementation, Baltimore 1962, p. 22; John Michael Monuas : « Pr_oducer Prices in Poland », in Gregory Grossman : Value and Plan, p. 61 ; John Michael Montias : Central Planning in Poland, New Haven et Londres, 1962, pp. 303 et 304.
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