220 Certes, les stimulants non monétaires tels que le prestige, le pouvoir, l'amour du travail bien fait et le désir, inculqué par l'éducation, de servir la cause du communisme, ont donné à l'économie soviétique une partie de sa force d'impulsion; mais le gain individuel, matériel, reste le mobile essentiel, tant pour le pers-onnel de direction que pour les ouvriers. Qui plus est, une bonne part du revenu du chef d'entreprise consiste en primes d'encouragement, lesquelles sont en rapport direct avec le rendement de l'entreprise. (Il est intéressant de remarquer que ce n'est pas le cas aux Etats-Unis - bien qu'il s'agisse probablement de la terre d'élection de la notion de profit, - les gratifications et la participation aux bénéfices n'y jouant généralement qu'un rôle mineur dans le revenu des agents d'exécution.) Malheureusement, le système actuel des grat-ifications allouées aux directeurs mène souvent à une mauvaise répartition des ressources, car il ne réussit pas, à bien des égards, à faire coïncider l'intérêt personnel des chefs d'entreprise (et celui des ouvriers) avec les intérêts de la société tout entière. Ce défaut est depuis longtemps reconnu et analysé par les spécialistes occidentaux, mais en Union soviétique on a dû attendre le «dégel» post-stalinien pour pouvoir débattre librement du problème. Petit à petit, des plaintes venant de tous les coins du pays commencent à se faire entendre. En novembre 1961, O. Antonov, ingénieur d'aéronautique et député au Soviet suprême, demanda une amélioration des «indices mal conçus » ; son article, publié dans les lzvestia, provoqua un véritable torrent de lettres à la rédaction et d'articles signés par des directeurs d'entreprise, des ingénieurs, des ouvriers, des économistes et des bureaucrates qui donnaient des exemples d'une organisation irrationnelle du travail et proposaient des modifications dans le système des indices de réalisation ainsi que des récompenses en argent. La discussion publique a amplement témoigné que le système en vigueur est inadéquat, car il induit les directeurs d'entreprise à: · I. Camoufler leur capacité de production ; 2. Accaparer des biens d'investissement ; 3. Fuir les innovations ; 4. Produire d':!s biens « inappropriés ». Défauts du système Tentation de camoufler la capacité de production. - Etant donné que l'exécution et le dépassement du plan de production quantitative constituent la principale source du revenu supplémentaire des chefs d'entreprise, et qu'atteindre l'objectif de production est la condition préalable à toute autre gratification, le directeur a un intérêt personnel à ne pas révéler toutes ses possibilités afin de se voir assigner une tâche qu'il pourra aisément réaliser, voire dépasser. Une fois qu'il aura réussi à décrocher un plan <c de tout repos », notre homme· hésitera encore à révéler tout son Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE potentiel de production, car s'il est de· son avantage de dépasser le plan, cela n'est vrai que dans certaines limites. Toute augmentation importante de la production quantitative (de même que tout accroissement notable de la productivité du travail, ou toute diminution du prix de revient moyen à la production) pourrait se traduire en. enquêtes gênantes sur des affirmations qui se révéleraient inférieures à la réalité en ce qui concerne les moyens utilisés ; en tout cas, le directeur en question se verrait forcément soumis, l'année suivante, à des exigences beaucoup plus lourdes (avec, pour corollaire, des gratifications moindres), les objectifs étant d'ordinaire fixés en fonction des améliorations escomptées par rapport aux résultats de l'année précédente 3 • Tentation d'accaparer des biens d'investissement. Maints problèmes délicats qui sont le lot quotidien du directeur d'une société privée dans une économie de marché, n'ont aucune prise sur l'homme placé à la tête d'une entreprise soviétique : celui-ci n'a nul besoin de faire de la publicité en faveur de son produit, de calculer des prix concurrentiels, de s'inquiéter de la vente. Son souci majeur est l'approvisionnement, l'acquisition d'objets d'équipement et de matières premières indispensables à une production ininterrompue et efficace. En U.R.S.S., l'outillage est parfois difficile à obtenir quand on en a besoin ; mais une fois qu'il a été attribué par les planificateurs, il est alloué gratuitement à l'€ntreprise, y compri~ les frais de paiement, de redevance ou d'intérêt (hormis les frais d'amortissement pour ce qui est des unités déjà installées ou en service). Lerendement quantitatif global (et non la rémunération de la valeur du capital investi) étant l'indice-clé de la réussite et le facteur essentiel de toutes les gratifications, le directeur a personnellement l'intérêt le plus évident à accaparer tout le capital fixe (l'outillage) sur lequel il peut mettre la main. Par conséquent, il n'est pas rare de voir ·une entreprise suspendre temporairement son activité en attendant la livraison de certains appareils, alors que le même équipement peut être en train de rouiller dans les entrepôts d'une entreprise voisine dont le directeur a su, lui, se procurer des réserves de biens d'investissement. Tentation de ne pas innover. Le système des stimulants matériels engendre, chez les directeurs, une solide prévention contre les innova- · tions. Certes, les perfectionnements techniques peuvent conduire à plus d'efficacité, mais adopter telle ou telle invention, s'équiper de façon plus moderne ou introduire des méthodes de production améliorées équivaut à courir de gros risques, · et l'on n'a pas grand-chose à y gagner. Renou- - veler son outillage demande · du temps et des efforts, ce qui s'accompagne, le plus souvent, 3. Sur les griefs formulés par les Soviétiques contre le système de planification fondé sur le niveau déjà atteint, cf., p.e., Izvestia, 4 déc. 1961, 25 et 2-8 aoftt 1962. ..
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