Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

188 ·possibilités du présent. La rapidité de l'évolution rend d'avance caduque toute construction utopique. Pour être efficace, la prospection ne peut jouer qu'à court terme, mais elle n'en demeure pas moins essentielle. Toute activité non aberrante, socialement utile, a un caractère de service public, et en ce sens doit échapper à une administration centralisée ou à un pouvoir étatique, lesquels se sclérosent à mesure qu'ils se concentrent. Mettant le principe contractuel au-dessus du principe d'autorité, A. Philip semble rejoindre Proudhon dans son désir de susciter à tous les échelons de l'activité humaine liberté et responsabilité. Il ironise sur les grands desseins des meneurs du jeu politique autant que sur la fatalité du progrès, mais, dépourvu de scepticisme, peut-être souscrirait-il à cette idée hégélienne que la raison a utilisé la déraison pour se manifester dans l'histoire... Les fins resteront toujours obscures et, apparaîtraient-elles claires aux acteurs, hautement improbables. C'est pourquoi A. Philip termine sur une leçon de tolérance et d'humanisme qui aboutit à une relativisation de la politique et à la primauté des moyens sur les fins. Ces vues générales, où l'on pourrait voir une sorte d'introduction à une œuvre nouvelle, débordent les limites de l'ouvrage. Celui-ci, en dépit de défauts inévitables, représente un remarquable effort de synthèse à propos d'une évolution par elle-même difficile à circonscrire et à juger globalement. Mais ces vues ne sont pas inutiles, car elles portent témoignage de préoccupations qui, agitant les esprits de nos contemporains, démontrent suffisamment, de leur côté, l'ampleur d'une mutation historique subie plutôt que voulue. MICHEL COLLINET. Les inconnus dans la maison JACQUEDSucHAussoy : Bacon, Shakespeare ou Saint-Germain? Paris 1962, La Colombe, Ed. du Vieux Colombier, 280 pp. ROBERTAMADouet ALICEJOLY: De l'agent inconnu au philosophe inconnu. Paris I 962, Ed. Denoël, 262 pp. M. DucHAUSSOaYrepris la thèse du général Gu-- tier, selon lequel Francis Bacon aurait été l'auteur des pièces de l'acteur Shakespeare, thèse étayée par les travaux cryptographiques du colonel Fabyan, du service britannique du chiffre. Nous n'avons pas qualité pour juger en cette matière controversée : d'autres revendications, comme celles d'Abel Lefranc en faveur du comte de Derby, ont toujours leurs partisans, tandis que M. Martin Maurice s'est curieusement distingué en soutenant que Shakespeare était Shakespeare. Disons que l'argument négatif de M. Duchaussoy ne nous paraît pas évident, selon lequel ShakesBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL peare, en toµt état de cause, ne pouvait être Shakespeare, ce que nous savons de sa vie ne se prêtant pas à son œuvre : Victor Hugo, si généreux en poésie, dans son train ordinaire était pingre ; l'œuvre ne reflète pas toujours l'homme visible. Mais si l'argument positif ou cryptographique, sur la partie technique duquel M. Duchaussoy n'insiste pas, était vraiment décisif, nous serions flatté de nous incliner, heureux d'avoir à compter parmi les philosophes un tel dramaturge. Il paraît que la cryptographie enseigne notamment que le philosophe, fils clandestin de la reine vierge Elisabeth, avait des droits au trône, ce qui le mettrait au rang de Platon dont la naissance n'était pas secrète. La revendication du philosophe au trône serait ainsi solidement étayée et nous nous réjouirions encore plus. Malheureusement, c'est M. Duchaussoy lui-même qui nous incite à ne pas prendre toujours les rêves pour les réalités lorsqu'il nous apprend que les résultats de l'exper- .. tise cryptographique permettraient encore de soutenir une revendication de Bacon-Shakespeare sur l'œuvre de Cervantes. Vraiment, cet enfant royal serait l'auteur universel. Mais pourquoi Saint-Germain, ce personnage à la longévité légendaire que nous ne nous étonnerions pas d'avoir rencontré récemment dans quelque salon ? M. Duchaussoy remonte bravement jusqu'à l'antiquité égyptienne, nous entraîne à pas pressés chez les Templiers, puis chez les Rose-Croix, sans négliger de nous faire visiter · les recoins les plus secrets. Nous comprenons que Bacon-Shakespeare-Cervantes, etc., n'est pas seulement au temporel un fils de famille royale, mais l'héritier spirituel légitime d'une longue, glorieuse et immuable tradition persistant jusqu'à nos jours. Chemin faisant, notre guide nous a dit d'ailleurs des choses intéressantes, mais qui laissent un peu perplexe, car, s'il nous fait guelfe avec les · Templiers, nous avons plutôt le sentiment d'être gibelin chez les Rose-Croix. Enfin, retrouvant Bacon, notre éblouissement s'accentue, car il nous faudrait aussi admettre que traditionalisme et modernité ne feraient qu'un. M. ·Duchaussoy ne nous a pas beaucoup entretenu de la philosophie de son héros et il a omis de signaler que Joseph de Maistre ne le considérait nullement comme un représentant de la tradition. Plus modestement, Mme Alice Joly a réussi à déceler l'identité de l' « agent inconnu » qui, par le moyen de l'écriture automatique, inspirait les illuminés de Lyon réunis autour de Willermoz, jusqu'à ce que brouille s'ensuive : il s'agit d'une dame de' Monspey, poétesse, atteinte, selon les psychiatres contemporains, du délire d'influence. La dame ainsi << agie » sut traverser et faire traverser aux « chevaliers bienfaisants de la Cité sainte» l'époque révolutionnaire la plus troublée. Passant de l' « agent inconnu » au « philosophe inconnu » dont la notoriété cependant était

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==