R. CONQUEST quel il est à prévoir qu'on rendra sa place d'avant 1957); c'est dire que bien des « controverses » actuelles sont unilatérales, exactement comme l'étaient celles d'autrefois (cf. l'attaque de 1950 contre la linguistique de Marr, au cours de laquelle on réclama à satiété qu'il fût mis fin aux méthodes tyranniques dans la science). Enfin, les vraies controverses semblent traduire ou mettre à profit la désunion au sommet. Pour juger de la présente « libéralisation », la leçon la plus instructive est donnée par la controverse de Questions d'histoire de 1956-57: l'explosion d'« objectivisme» historique soutenu par la majorité des historiens se termina par une victoire du Parti et une épuration du comité de rédaction de la revue. Maintenant comme alors, il faut lire attentivement le Kommounist, qui continue à militer aussi fermement que jamais en faveur de la ligne la moins libérale. Le point de vue officiel sur la période 1956-57 est aujourd'hui que la détente a été une bonne chose, mais qu'elle a donné lieu à des « excès » qu'il a fallu réprimer. Pour parler net, les tendances libérales de l'époque ont été utiles à Khrouchtchev et le mouvement ne pouvait pas se produire sans que son énergie débordât les réservoirs qu'elle était destinée à emplir. C'était néanmoins tolérable, tant que le trop-plein pouvait être épongé. On peut prévoir aujourd'hui une perspective similaire. Les révélations actuelles sur le passé tendent à faire croire qu'on dit maintenant « la vérité» dans ce domaine aussi. En réalité, Khrouchtchev n'est guère plus adonné à la vérité que Staline, sauf lorsque la vérité, ou une parcelle de vérité, fait son affaire. L'impression de franchise qui émane de lui e~t trompeuse. Les épurations des années 30 ont simplement servi à Khrouchtchev d'arme commode contre Molotov et consorts. Bien que plusieurs adversaires du premier secrétaire - Malenkov et Chépilov en particulier - aient fait avant lui des suggestions progressistes, c'est pour Khrouchtchev une manœuvre politiquement utile que d'opposer son propre régime aux principes « réactionnaires », « conservateurs », « staliniens » attribués au « groupe antiparti ». Certains au moins dans ce groupe nourrissaient certainement de telle idées. Mais si, par contraste avec Molotov, une tortue politique fait l'effet d'être remarquablement progressiste, une tortue passablement agile est loin d'être un lièvre. La dénonciation dramatique d'une par~ie peu connue de l'horrible passé stalinien s'accompagne d'une allusion aux forces du mal qui ont la nostalgie du passé, ce qui fait resplendir par contraste le régime de Khrouchtchev. Mais, bien que les charges retenues contre Boukharine au procès de 1938 aient été réduites à néant par la réhabilitation de trois « conspirateurs >> nommés au procès (lkramov, Toukhatchevski et Roudzoutak); bien qu'au XXII 0 Congrès on ait révélé que le principal acte terroriste reproché à Piatakov en 1937 (la tentative d'assassinat de Molotov dans un acciBiblioteca Gino Bianco 163 dent de voiture en Sibérie) était pure invention ; bien que l'on ait avoué qu'au procès de Zinoviev, en 1936, le meurtre de Kirov avait été faussement présenté - les chefs de l'opposition n'ont pas été réhabilités. Depuis 1956, Khrouchtchev n'a pas proposé de version cohérente de cet important problème, mais un mélange de vérités et de mensonges parfaitement incompatibles. Au surplus, pourquoi croire davantage les versions actuelles plutôt que celles du temps de Staline ? La crise cardiaque d'Ordjonikidzé, par exemple, est devenue un suicide, mais tout indique qu'il fut en réalité tué sur l'ordre de Staline, comme Kirov. D'ailleurs Khrouchtchev lui-même ment effrontément : il affirme ainsi que Béria était un agent anglais et que le massacre de Katyn fut l'œuvre des Allemands. Autre exemple parmi tant d'autres, l'absence, dans la dernière édition de la Petite Encyclopédie Soviétique, de quatre sur cinq des présidents du Conseil des ministres entre Lénine et Khrouchtchev ; la tradition qui consiste à manipuler les faits pour des raisons d'opportunité politique est bien vivante. EN EFFET, de quelque point de vue qu'on regarde la nouvelle image soviétique, on éprouve un malaise. Tout ce qui, en fait d'écrits, est vraiment ou en apparence hétérodoxe, s'attire toujours les rigueurs de la loi. Olga Ivinskaïa a été jetée en prison sous une accusation d'ordre économique fabriquée de toutes pièces, parce qu'elle avait tenté de faire passer à l'étranger les écrits laissés par Pasternak. Essénine-Volpine est sous les verrous en raison d'une poésie franchement hétérodoxe, publiée seulement à l'étranger. Mikhaïl Naritsa est aux mains du K.G.B. pour les mêmes motifs. Les interventions du Parti dans la littérature restent fréquentes, et il a la main lourde. Ces dernières années, des résolutions du Comité central ont officiellement accusé de diverses « erreurs idéologiques et artistiques >> des revues comme Ogoniok (9 septembre 1958), la Presse soviétique (22 mai 1958), Questions de philosophie (31 juillet 1959) et Smiéna (6 janvier 1960); des livres comme Faits nouveaux sur Maïakovski (31 mars 1959) ; et des éditeurs comme les Editions de littérature étrangère (4 juin 1959). Sans parler, bien entendu, d'autres interventions moins formelles, comme celle de Khrouchtchev contre la Jeune Garde. L'Observer de Londres a publié, le 5 août 1960, un article révélateur sur la censure mesquine exercée sur les documents scientifiques distribués aux savants. Nature, la grande revue scientifique anglaise, est photocopiée à Moscou pour être distribuée aux laboratoires et instituts soviétiques. Mais avant de photocopier un numéro, on en supprime des passages de façon grotesque. Sur vingt-huit livraisons couvrant une période de six mois, dix-huit ont été censurées, perdant
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==