Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

K. PAPAIOANNOU de l'Amérique latine, des dépouilles du Bengale, de la traite des Noirs, du travail servile, du travail et du commerce forcés (livraisons obligatoires du type « devoir du caoutchouc ») ont largement contribué à la constitution du fonds d'accumulation de l'industrie naissante. L'accumulation primitive, dit Marx, est le « péché originel» de l'économie politique. On pourrait ajouter qu'elle est le « péché originel » et la pierre de scandale pour toute interprétation strictement économique de l'histoire, celle par exemple qu'Engels expose dans l' Anti-Dühring : La violence ne joue absolument aucun rôle. (...) Même en excluant toute possibilité de vol, de violence et de dol, en admettant que toute propriété privée repose à l'origine sur le travail personnel du possesseur et que, dans tout le cours ultérieur des choses, on n'échange que des valeurs égales contre des valeurs égales, nous obtenons tout de même nécessairement, dans la suite du développement de la production et de l'échange, le mode actuel de production capitaliste 3 • Il n'en est pas moins vrai que Marx a toujours traité l'accumulation primitive de « fait prééconomique », allant même jusqu'à considérer la violence et le monopole étatique de la violence comme des « facteurs économiques » : la conception « idyllique » d'Engels (qu'on doit considérer comme l'exact opposé de la célèbre formule de Proudhon : « La propriété, c'est le vol») se double d'une conception terroriste de la « préhistoire du capital ». A cela on peut ajouter que le fait du pillage et de la violence ne suffit pas à expliquer la constitution du capitalisme et l'apparition d'un groupe d'hommes ayant la mentalité productiviste et innovatrice d'entrepreneurs schumpéteriens. La célèbre formule de Marx : « Accumulez, accumulez, c'est la loi et les prophètes », renvoie implicitement aux problèmes que Max Weber, Sombart, Tawney et Robertson se posèrent par la suite au sujet de la « mentalité économique » du capitalisme. Elle mérite d'être rappelée, ne serait-ce que parce qu'elle fut appliquée avec une rigueur toute puritaine par ses disciples devenus industrialisateurs ... Quoi qu'il en soit, pour l'hégélien Marx l'accumulation primitive est une étape nécessaire du développement. Dans la Préface à la première édition du Capital, il écrit : • Si le philistin allemand se permettait un mouvement d'épaules pharisaïque à propos de l'état des ouvriers anglais, industriels et agricoles, ou se berçait de l'idée optimiste que les choses sont loin d'aller aussi mal en Allemagne, je serais obligé de lui crier : De te fabula narratur, c'est de toi qu'il s'agit dans cette histoire. On a vu entre-temps de nombreux pays s'industrialiser sans passer par cette « préhistoire san3. Engels : Anii-Dühring, Ed. sociales, 1950, p. 195. Biblioteca Gino Bianco 143 glante » : l'Amérique, avec sa pénurie endémique de main-d'œuvre, l'Allemagne bismarckienne, avec son système d'assurances sociales développées, le Japon de Meidji avec sa bureaucratie éclairée, ont pu éviter dans une large mesure les atrocités du capitalisme primitif, son immense « armée industrielle de réserve » et ses ouvriers affamés, dépourvus de toute organisation politique ou syndicale. Nous allons voir maintenant que la/ abula du Capital concernait aussi, concernait surtout, les disciples les plus « orthodoxes » de Marx: ce sont eux, en effet, qui se sont chargés d'écrire en Russie, puis en Chine, les dernières pages du « martyrologe des travailleurs ». Villes et campagnes MARX n'avait jamais envisagé le problème de l'accumulation primitive sous la forme qu'il a empruntée dans la Russie post-révolutionnaire. Selon lui, la révolution socialiste devait mûrir dans les pays les plus avancés et éclater dans les conditions particulières créées par le surdéveloppement industriel, la victoire totale de la ville sur la campagne, l'extinction quasi totale des couches précapitalistes et la « prolétarisation », c'est-à-dire la salarisation de la population active. Tout autre était la situation de la Russie à la fin de la guerre civile. Rappelons brièvement les données du problème : 1. - Pendant la guerre civile de 1918-20, les réquisitions de blé purent, tant bien que mal, assurer le ravitaillement des villes (dépeuplées) et des armées. La fin de la guerre civile, les jacqueries et la révolte de Cronstadt démontrèrent l'impossibilité de maintenir le système bureaucratico-militaire du « communisme de guerre ». 2. - Lanep (mars 1921) mit finaux livraisons forcées et rétablit le droit de vendre les excédents agricoles sur le marché libre. Elle apaisa le mécontentement paysan et stimula la production: le produit de la grande industrie qui, en 1920, était tombé à 14 % de son niveau d'avant guerre, s'éleva à 46 % en 1924 et à 75 % en 1925; la masse commercialisée des céréales s'accrut de 64 % entre 1922 et 1925; enfin, en 1924, le montant des investissements bruts dépassa, pour la première fois depuis 1917, la dépréciation annuelle du capital. 1\1.aisla nep révéla en même temps la contradiction fondamentale qui découlait de la double nature - ouvrière et paysanne - de la révolution de 191720, et du régime mixte - étatisé et privé - qui en était l'expression économique. Le nivelle1nent de la campagne, la généralisation de la petite et 1noyenneparcelle paysanne, l'abolition de l'exploitation féodale-capitaliste (le produit de l'impôt agricole représentait en 1924-25 le tiers des redevances paysannes d'avant la révolution) et l'augmentation de la consommation paysanne qui en résulta, se traduisirent par une diminution relative du volume des céréales mises sur le marché. La pénurie de biens manufacturés, l'existence de

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