Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

N. VALBNTINOV liens avec l'économie mondiale. » Quant au XIVe Congrès, il ajoutait dans sa motion : « Dans le domaine des relations internationales, on constate un affermissement et un prolongement du répit qui s'est transformé en période dite de coexistence pacifique de !'U.R.S.S. avec les Etats capitalistes. » La droite ne pensait sûrement pas, en 1925, à la « révolution mondiale ». Ce fut donc une surprise de voir, en décembre, sortir du XIV° Congrès une instruction recommandant de « s'orienter sur le développement et la victoire de la révolution mondiale ». Cette instruction avait pour objet de parer les coups de l'opposition, selon laquelle les _dirigeants, gagn~s. par un « esp!it national étroit » et par le desrr de « construire le socialisme dans un seul pays», vouaient à l'oubli l'idée de révolution mondiale. En automne 1925, Boukharine se rendit compte qu'on ne pouvait s'appuyer exclusivement sur les décisions d'avril. Il fallait s'armer idéologiquement, puis attaquer l'opposition en se défendant contre l'accusation de favoriser le koulak et de « s'écarter de la voie prolétarienne». Cette armure idéologique fut forgée par Boukharine au cours de discussions rappelant les débats des conciles œcuméniques sur les deux natures du Christ, les canons du marxisme étant tour à tour invoqués par les deux parties qui, l'une et l'autre avec prudence, faisaient appel au mensonge conscient. Reprochant à 1~. droite de déformer la_ « réali~é sociale», l'oppos1t1on de gauche voulait savoir si elle admettait le canon sur la différenciation dans les campagnes. La droite répondit par l'affirmative, car un canon est un canon. Mais en quoi consistait-il ? Selon Lénine, en un processus inéluctable différenciant la population rurale en « paysans pauvres, paysans moyens et koulaks ». Les bolchéviks ont toujours considéré les paysans pauvres et les journaliers comme les frères des ouvriers des villes avec lesquels ils forment une seule classe. Lénine tint longtemps comme tout à fait étrangère à eux la petite bourgeoisie et sa représentation extrême, les koulaks, « vampires, buveurs de sang, sangsues, les plus cruels, les plus sauvages des exploiteurs » (voir son article : « En route pour le dernier combat », écrit dans la première moitié de 1918). Pour tenir en échec la bourgeoisie rurale, foncièrement hostile au socialisme, on eut recours aux comités de paysans pauvres. ~ais, Lé~in~ abandonna vite cette tacttque : au heu d assuJetttr de force le paysan moyen au socialisme, il fallait réaliser le socialisme et par là neutraliser le paysan moyen. Lénine alla même plus loin : pour instaurer le socialisme, il fallait, sous la conduite du prolétariat, s'allier avec le paysans moyen et admettre que « le bon cultivateur est le personnage-clé de notre développement économique». Autour de cette formule s'engagea, en 1925, une polémique pleine de fiel et de mensonges. Biblioteca Gino Bianco 75 La droite exigea de l'opposition une réponse nette. Admettait-elle l'ultime recommandation de Lénine: s'allier avec le paysan moyen et miser sur lui ? Craignant de s'inscrire en faux contre le léninisme, l'opposition répondit du bout des lèvres : bien sûr que nous l'admettons! Elle mentait. Sa conviction était faite depuis longtemps : l'opposition (Trotski, Zinoviev, Kamenev, Préobrajenski, Piatakov et d'autres) s'était détournée du moujik, à l'instar de la tendance menchévique, qui rassemblait exclusivement les ouvriers des villes. Partant de ce principe que le moujik aspirait à l'aisance et que, « selon la loi de la différenciation », il était appelé à se transformer en « vampire-koulak », l'opposition voyait dans le paysan moyen une figure inquiétante. De la masse des bons cultivateurs devenus des paysans aisés pouvaient sortir des campagnes qui s'enrichiraient. Relevant la tête et conscientes de leur force, elles s'opposeraient à la ville et, le moment venu, s'efforceraient de renverser le pouvoir prolétarien étranger à elles. L'opposition craignait l'extension de la nep exigée par les paysans, l'application d'une véritable nep. En fin de compte, elle aboutissait à la vieille thèse trotskiste : le prolétariat « entrera fatalement en conflit avec les grandes masses paysannes qui lui. OJ:?p-te~mi~ de prendre !e P<;>Uvoir. Les contradicttons inherentes à la situation d'un gouvernement ouvrier dans un pays arriéré à écrasante majorité rurale ne peuvent trouver leur solution qu'à l'échelle internationale et dans la révolution mondiale du prolétariat. » Ce qui revenait à nier qu'il était possible de réaliser le socialisme dans un seul pays sans l'aide de la révolution mondiale et autorisait la droite à reprocher à l'opposition d'être sceptique quant à l'instauration du socialisme en Russie. Rendant coup pour coup, l'opposition voulut à son tour obtenir de la droite une réponse claire : reconnaissait-elle l'existence d'une couche sociale koulak, dangereuse pour le régime, s'efforçant d'assujettir la masse des paysans moyens ? N'osant nier la « différenciation » et la catégorie sociale de koulaks, « vampires, buveurs de sang, exploiteurs les plus cruels» qu'elle engendrait, la droite répondit : les koulaks existent, c'est indubitable. Mais cette réponse recelait un grand mensonge : en 1925, il n'y avait plus de « vampires et buveurs de sang » au village. Huit années d'administration, d'abord par les sinistres comités de paysans pauvres, puis par les cellules des comités de village et de canton, avaient anéanti les anciens koulaks et empêché que d'autres ne se forment. Lorsque Kalinine, dans les Izvestia du 22 mars 1925, déclara que le koulak était « l'ogre, le spectre de l'ancien monde ; ce n'est pas une couche sociale, voire un groupe ni même un groupuscule, ce sont des unités en voie d'extinction», personne ne fit d'objection, car c'était la vérité. Mais quand, dix-huit mois plus tard, un certain Bagouchevski répéta, à quelque chose près, les mêmes paroles,

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