372 . révisions du révisionnisme bolchévique. Lorsque le révisionnisme s'exprime de manière tâtonnante, circonspecte, chez les satellites, il ne s'agit évidemment pas de remettre en question la dictature du Parti, voire des notions marxiennes parfaitement éculées telles que la « paupérisation de la classe ouvrière », lesquelles servent à entretenir l'attente de l' « effondrement du capitalisme ». Il s'en prend d'ordinaire à la doctrine communiste de l'esprit de parti, qui met l'accent sur le caractère de classe et de parti de toute vérité et sert de prémisse apologétique à l'enrégimentation des arts et des sciences. Les communistes intellectuels qui, dans le passé, éveillèrent les soupçons, puis la fureur du Kremlin, aspiraient à plus d'autonomie dans leur travail créateur. En littérature, en art et en philosophie, pareille exigence menaçait le monopole du pouvoir communiste. Elle permettait en effet l'expression de jugements de valeur différents de ceux que formulait et imposait de manière impérative à chaque organe de l' «opi- . nion » la hiérarchie nationale. Ainsi s'explique l'attitude nouvelle adoptée par le Kremlin envers les physiciens à partir du moment où apparut dans toute son importance l'emploi de l'énergie nucléaire. Le Politburo était devenu conscient de la mesure dans laquelle la puissance militaire soviétique dépendait d'une recherche scientifique sans entrave. Plus que réticent jusque-là, il était désormais prêt à reconnaître qu'il n'avait pas dans ce domaine le monopole du savoir. Pour survivre, en attendant la victoire universelle, il lui fallait faire taire ses sbires qui tracassaient les savants avec les dogmes obscurs et obscurantistes du matérialisme dialectique. Tant que la paix dépendra de l'« équilibre de la terreur », les savants soviétiques se verront accorder une liberté croissante dans la recherche technique, mais il va sans dire que cette liberté ne s'étendra pas au domaine politique. Certains savants communistes des pays satellites, tout en défendant une science libérée de la contrainte idéologique, sont prêts à reconnaître que, dans les arts, ·1a littérature et la sociologie, les gardiens de l'orthodoxie ont encore leur rôle à jouer. Le seul espoir raisonnable d'un relâchement des contraintes paralysantes imposées par le dogme réside dans la tolérance d'un effort créateur dans les arts, les humanités et les sciences sociales, et aussi dans la liberté de critiquer la politique sociale et la politique tout court. C'est là l'amorce indispensable à la «dispersion du pouvoir politique » dans laquelle L. Labedz voit, à juste titre, cc le critère décisif d'une évolution démocratique». Croire que la liberté de recherche dans les sciences techniques s'étendra nécessairement à d'autres domaine.s est pure illusion. L'histoire du totalitarisme, aussi bien que celle des régimes autoritaires, montre que la liberté peut fort bien être fragmentée. L'espoir a été déçu qu'une attitude raisonnable envers la liberté de la recherche scientifique Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL (d'importantes restrictions l'entravent encore) s'étendrait progressivement à -la littérature et à la pensée sociales. Du point de vue du pouvoir, pareille extension n'aurait rien de raisonnable. Fraîcheur, variété, spontanéité de l'expression non conformiste .avaient atteint leur apogée -en Pologne après r cc Octobre » . de 1956. Contrairement à toute attente, elles sont lentement mais sûrement étranglées par des mesures économiques.. Aucun pays satellite ne _peut, semblet-il, accorder longtemps à ses propres intellectuels dissidents plus de liberté qu'il n'en existe en Union soviétique. Il risquerait de s'attirer les foudres du Kremlin, lequel craint peut-être davantage, pour les talents créateurs en U.R.S.S. même, les effets de l'exemple libéral, qu'il ne redoute un relâchement possible de la part des nations captives. . . .. Tout cela influe sur le rôle que joue l'idéologie dans la vie et la pratique politique soviétiques. Certains affirmaient avec assurance ·que cette influence allait en déclinant. Dans la- baisse de tension de la terreur culturelle, manœuvre stratégique et démagogique dans la lutte pour la succession de Staline, ils voyaient un mouvement irréversible vers l'abandon progressif de · 1a terreur. A ce jour, l'événement n'a pas confirmé cette façon de voir. Inutile d'être marxiste pour convenir que le système de terreur communiste ne peut s'expliquer entièrement par la personnalité de Staline. Se leurrer à cet égard, c'est prendre à rebours le << culte de la personnalité ». Il y a un potentiel totalitaire dans la révision bolchévico-léniniste de Marx ainsi que dans ie système de domination qu'elle a engendré, système qui, jusqu'à présent, n'a guère été·affecté par les changements constatés dans. la· composition de l'équipe dirigeante. Certes, du temps de Staline, Boris Pasternak et ses amis auraient été supprimés. Il n'en reste pas moins que sous Khrouchtchev le Docteur Jivago demeure inédit et la mémoire de Pasternak couverte d'opprobe, et que sa collaboratrice est en prison. On ne peut échapper au sentiment que révisionnisme moderne, à l'intérieur de l'orbite communiste, et révisionnisme de l'extérieur sont des phénomènes profondément différents. Dans l'ouvrage qui nous occupe, la ligne de démarcation n'est pas assez nette entre motivations, objectifs, qualité morale de l'un et de l'autre. Leur appliquer à tous deux le même étalon c'est négliger ce qu'à défaut de mieux nous tiendrons pour une particulière noblesse d'âme, et qui caractérise lléroïsme de ceux qui 'luttent pour une liberté plus grande derrière le rideau de fer. Les tentatives de révision auxquelles on se livre dans les pays libres d'Occident en déco u - vrant soudain quelque nouvelle philosophie,
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==