Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

Débats et recherches PERMANENCE DES MILLÉNARISMES par Norman Cohn Le texte qui suit constitue le dernier chapitre de l'ouvrage du professeur Norman Cohn, Les Fanatiques de l'Apocalypse, à paraître prochainement aux éditions Julliard, dans la collection « les Lettres nouvelles». Il s'agit de la traduction française de The Pursuit of the Millennium, Londres 1957, Secker & Warburg, éditeurs 1 • Du x1e au xv1e siècle, la société médiévale n'a cessé de nourrir des croyances, parfois orthodoxes, le plus souvent hérétiques, en l'avènement immédiat du Millénium, le royaume de Dieu sur la terre. Tantôt des sectes mystiques, généralement clandestines, tantôt de grands soulèvements populaires qui ébranlèrent l'ordre social et politique, exprimèrent la foi en un monde futur de justice et d'humanité, succédant à de terribles catastrophes. Puisée chez les Prophètes, au mythe de Saturne et aux oracles sibyllins, dans l'Apocalypse, cette foi n'animait pas moins les hordes de Pierre l'Ermite ou du roi Tafur à l'assaut de Jérusalem que les paysans de Muntzer et les anabaptistes de Münster. Nombreux furent les auteurs qui étudièrent les hérésies qui n'ont pas manqué de se développer en marge de l'Église romaine. D'autres ont écrit sur les Nous ne nous sommes pas proposé d'élaborer une étude d'ensemble du fanatisme, fût-ce pour les régions et la période considérées. L'intolérance était de règle en matière religieuse, en Europe, au Moyen Age. Papes, évêques, clercs abhorraient la « fausse croyance » autant que n'importe quel prophète prêchant pour son propre compte. L'Inquisition, dans son effort pour préserver de sacro-saintes traditions, n'hésitait pas à faire preuve de fanatisme ; les armées catholiques en guerre contre les albigeois et les hussites se livraient à de véritables guerres d'extermination. Mais les mouvements fanatiques étudiés ci-dessus sont d'une espèce particulière puisqu'il s'agit de mouvements révolutionnaires visant à ébranler la structure du monde, puis à le régénérer. Cela ne veut pas dire que notre livre constitue une histoire de l'hérésie au Moyen Age. Les 1. L'édition française présente plusieurs modifications par rapport à l'original. En particulier, la conclusion primitive a été augmentée et actualis~. • Biblioteca Gino Bianco jacqueries et les révoltes ouvrières. Points de vue particuliers que le professeur N. Cohn a dépassés en montrant les liens parfois subtils qui existent entre les mouvements révolutionnaires et les croyances chiliastiques propagées par les sectes hérétiques. Il en décrit le mécanisme et la manière dont ces croyances imprégnèrent l'esprit des masses populaires. Sans négliger les travaux des érudits, il remonte aux sources et aux témoignages qu'il ·recoupe pour démêler ce qui est histoire et ce qui est légende dans des faits que la chronique officielle avait intérêt à cacher ou à déformer. Il y a trouvé la présence permanente de grands mythes eschatologiques, tantôt publics, tantôt souterrains, qui apportent à l'esprit médiéval une aura non conformiste, opposée aux dogmes universitaires, toute pénétrée de l'espoir d'un immense renouveau de l'homme. Œuvre synthétique, où le lecteur peut d'emblée saisir the dark side du Moyen Age... Entre celui-ci et les mouvements totalitaires de notre siècle, il existe, malgré la différence des situations et des mobiles, des relations latentes ou manifestes que l'étude psycho-sociologique de M. N. Cohn met en lumière. Tel est le sens de ses « Conclusions » 2 • multiples hétérodoxies religieuses qui apparurent, se développèrent et déclinèrent au cours des derniers siècles du Moyen Age différaient profondément les unes des autres non !;eulement du point de vue doctrinal, mais aussi du point de vue de leur emprise sur les masses et du public auquel elles s'adressaient. La plupart n'étaient nullement millénaristes; de celles qui l'étaient, plusieurs ne présentaient pas le Millénium sous un jour fait pour séduire les masses. D'autre part, les groupes ou mouvements que nous avons étudiés ne professaient pas tous des doctrines formellement hérétiques. Il n'était pas hérétique, par exemple, de prêter foi aux oracles sibyllins. Un chrétien orthodoxe était autorisé à voir dans les juifs des suppôts de Satan. Saint Bernard prêchant la première croisade ou saint Vincent Ferrer à la tête de ses flagellants étaient aussi convaincus de l'imminence de l'avènement 2. Titre du chapitre final des Fanatiques de I' Apocalys~, intégralement reproduit ici. Pour des raisons évidentes de présentation, nous en avons adopté un autre, de même que nous avons ménagé dans le texte plusieurs divisions .

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