282 Plus récemment, au XXIIe Congrès, Khrouchtchev répétait dans son rapport : «Certes, J. V. Staline a de grand mérites au regard du Parti et du mouvement communiste et nous lui rendons ce qui lui est dû. » Les dirigeants communistes s'en tiennent obstinément à cette attitude. Et tout en dénonçant le «culte», ils s'acharnent à soutenir une thèse indéfendable, à savoir que Staline a commis un grand nombre de crimes atroces, mais que le Parti, au nom duquel il gouvernait et dont il détermina despotiquement la politique, - que le Parti a toujours eu raison. Ain~i le règne sans partage du système de terreur sanglante et l'arbitraire cruel et sans bornes de Staline auraient eu un caractère en quelque sorte fortuit, sans effet tant soi peu important sur la politique de l'époque stalinienne. Mais pourquoi aujourd'hui encore le nombre des épurations staliniennes, voire même l'ampleur des réhabilitations, sontils considérés comme secrets d'État ? Au XXe Congrès, Khrouchtchev déclara avec une nuance de fierté : «Il suffit de dire que, de 1954 à ce jour, le Collège militaire du Tribunal suprême a réhabilité 7.679 personnes, dont un grand nombre à titre posthume. » Certes, cela est loin de «suffire ». Depuis, il est vrai, on a encore réhabilité quelques milliers, peut-être deux ou trois dizaines de milliers, de «victimes de la répression » des années terribles. Mais, tandis que ne sont mentionnés publiquement que quelques dizaines de noms de personnalités réhabilitées, la majeure partie des victimes calomniées et déshonorées, y compris les milliers et les milliers de torturés et de suppliciés, sont exclues de la réhabilitation ou bien réhabilitées en secret. La machine à réhabiliter fonctionne lentement et par à-coups. Et ce n'est que récemment que nous avons appris (Pravda du r9 mai 1962) que celui qui fut longtemps le secrétaire du présidium du Comité central exécutif suprême, Abel Enoukidzé, a été réhabilité en 1959, six ans après la mort de Staline et trois ans après le XXe Congrès. Pourquoi ? 2. Les rapports de Khrouchtchev aux :xxe et xx11e· Congrès, les discours du président et du vice-président du Comité de contrôle auprès du Comité central du Parti, Chvernik et Serdiouk, ainsi que celui de Chélépine, président du Comité de la Sûreté de l'État, ont fourni un grand nombre de données sur le système de terreµr stalinien. Mais toutes ces manifestations oratoires ont soigneusement éludé la question de son mécanisme central ; pas une fois ne furent mentionnés ni le secrétariat particulier de Staline, ni le service «opérationnel» secret qui en était l'émanation, ni les noms de Poskrébychev et de Siérov ; Malenkov lui-même, qui sans aucun doute a été un rouage important du mécanisme de la terreur, n'est cité qu'en tant qu'organisateur itinérant de celle-ci, avec Molotov ·et Kaganovitch. Cela donne l'impression que tous trois furent, en même temps que Staline, les principaux responsables du système. Il n'est pas jusqu'à léjov. qui fréBiblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE quemment semble entrer dans l'ombre, -comme une créature qui ne fit qu'exécuter les instructions reçues. Tout cela répond aux besoins de la politique de Khrouchtchev, mais reste très loin de la vérité historique. Cela ne veut pas dire que le rôle de Molotov, Kaganovitch et Malenkov dans les événements ait été insignifiant. Loin de là. En province, ils se sont inontrés des organisateurs entreprenants, énergiques et cruels de la terreur 1 • Mais ce qu'on raconte aujourd'hui de leur influence sur la politique au sommet de la pyramide soviétique montre à quel point ils étaient eux-mêmes terrorisés et tremblaient pour leur vie. De ce point de vue sont particulièrement instructives les annotations d'une stupéfiante brutalité faites par Staline et, après lui, par Molotov, Vorochilov et Kaganovitch, sur la lettre que lakir adressa de sa prison à Staline [cf. La décapitation de l'Armée rouge, dans notre dernier numéro] et la déclaration de Khrouchtchev au xxe Congrès, à savoir que si Staline avait vécu quelques mois encore, «les camarades Molotov et Mikoïan n'auraient certainement pas prononcé de discours à ce Congrès ». . 3. Pourquoi est-il admis tacitement - parfois même ouvertem~nt - que les pénibles conséquences du «culte de la personnalité» ne se sont fait sentir qu'après 1934, ou à partir de 1934 ? Khrouchtchev et ses «compagnons d'armes» le répètent constamment, mais se gardent bien de mettre l'accent là-dessus. Or Lazourkina, qui n'a pas encore tout à fait retrouvé féquilibre après dix-sept années passées dans les camps de concentration, a dit tout crûment au Congrès : Staline avec ses «grands mérites jusqu'en 1934 » est une chose et Staline après 1934, «quand il causa tant de mal au Parti », en est une autre. Pourquoi ? Si les aveux de sabotage, d'espionnage, de collaboration avec les services de renseignements étrangers dont on µt état après 1934 furent truqués et obtenus par des « méthodes interdites », comment les mêmes aveux garderaient-ils toute leur force pour la période antérieure ? S'ils furent sans fondement - et les zélateurs de la nouvelle «ligne » actuelle laissent entendre que les accusations portées contre les trotskistes, les déviationnistes de droite et autres opposants restent valables, pour l'essentiel, en tant qu'elles visent une politique contraire à celle du Parti, et non comme accusations de trahison et de sabotage - pourquoi ne pas réviser les «grands procès » ? Pourquoi laisser le Parti et ses jeunes adhérents ignorer si les condamnés de ces procès furent traîtres et agents de l'étranger ou seulement «déviationnistes» ? :at s'ils furent de simples déviationnistes, ne devait-on pas les combattre, non à la I. On en peut dire autant de Khrouchtchev., caractéris6 en outre par son activité de propagandiste des plus énergiques et d'apologiste de cette politique. Cf. Khrouchtchev et le, tueries, par Lazare Pistrak, dans notre n° 2 de 1962.
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