Le Contrat Social - anno VI - n. 4 - lug.-ago. 1962

DOCUMENTS négative sur l'état de la discipline militaire dans la première période de la guerre. Et, comme vous le savez, nous avions avant la guerre d'excellents cadres militaires qui, sans le moindre doute, étaient loyaux envers le Parti et la patrie. Qu'il suffise de dire que ceux d'entre eux qui survécurent aux sévères tortures auxquelles ils furent soumis dans les prisons se sont comportés dès les premiers jours de la guerre ·comme de véritables patriotes et combattirent héroïquement pour la gloire de la patrie. Je pense ici aux camarades Rokossovski qui, comme vous le savez, a été emprisonné ; Maretskov, qui est délégué au présent congrès; Podlas, un excellent commandant qui tomba sur le front, et à tous les autres. Cependant de nombreux commandants périrent dans les camps et les prisons, et l'armée ne les revit jamais plus. On sait que ce discours secret de Khrouchtchev a provoqué des scènes pitoyables, des évanouissements, des crises de larmes au XXe Congrès et produit un effet sensationnel dans le monde entier, alors que les quelques vérités ainsi partiellement dévoilées étaient déjà dites, écrites, imprimées en Occident*, mais étouffées, dissimulées par les politiciens corrompus et la presse vénale ou frivole. Or c'est sur le chapitre de l'extermination des militaires que Khrouchtchev est alors le moins explicite. Il évite de préciser le nombre, la qualité, les noms des victimes. Il se borne à nommer trois rescapés, dont deux inconnus, ce qui prouve néanmoins que tous les chefs connus ont péri. Il s'en tient à des expressions aussi générales et vagues que possible. Il ignore l'existence passée de Toukhatchevski et de lakir, d'Ouborévitch et de Poutna, de Blücher et d'Egorov. Il n'a en vue, pour cette fois, que d'amorcer la confession en quelques mots qui feront travailler les esprits et que de faire allusion aux conséquences désastreuses des sanglantes « épurations » de Staline dans l'armée, car la préoccupation de récrire l'histoire de la guerre perce en maints passages de ce discours (et s'affirmera dans des discours ultérieurs) : il s'agit d'en finir avec la légende inepte du génie militaire de Staline et d'exalter les mérites de Khrouchtchev. Donc la « réhabilitation » des officiers fusillés n'est encore que sous-entendue, presque honteusement consentie à contrecœur. Mais cinq années passent encore et le ton change enfin au XXIIe Congrès, pour des raisons qui restent énigmatiques. L'heure a sonné, paraîtil, d'appeler les victimes par leur nom, de proclamer leur innocence, voire d'honorer leur mémoire. C'est Catherine Fourtséva qui aborde l'affaire et elle raconte une séance du Présidium du Comité central en ces termes : • Cf., entre autres : Cauchemar en U.R.S.S., par B. Souvarine, in RetJUI de Pari,, n° du 1er juillet 1937; Aveux à Mo,cou, par le meme, in la Vie intellectuelle, n° d'avril 1938 ; Rrulian Purge and tlu Extraction of Confesnon, par F. Beck et W. Godin, New York 1951; The Accu1ed, par Alex•odcrWei11ber1p, r~face d' Anhur Kœstler, NewYork 1951 (~. fraoçalae, L Accrul, Pari, 1953). Biblioteca Gino Bianco Paroles de C. Fourtséva au XXJJe Congrès 237 ...La discussion portait sur la réhabilitation pleine et entière, y compris la réhabilitation vis-à-vis du Parti, d'anciens hauts dirigeants de notre armée, Toukhatchevski, Iakir, Ouborévitch, Egorov, Eideman, Kork et autres. Leur innocence était si évidente que même Molotov, Malenkov, Kaganovitch et autres se prononcèrent pour leur réhabilitation, bien qu'à l'époque ils aient trempé dans leur fin tragique. Et voilà qu'en pleine discussion, Nikita Serguiéiévitch [Khrouchtchev] leur demanda, très calmement, mais bien en face : « Quand donc aviez-vous raison ? Quand vous votiez pour le sort qui leur était promis et quand ce sort fut tranché de façon si tragique, ou bien en ce moment où vous les réhabilitez entièrement ? " Cette question honnête et sans ambages les mit en fureur et les troubla profondément. A en juger par leur attitude lors de cette réunion, il apparut clairement qu'ils redoutaient que la vérité fût découverte ... On doit souligner les expressions « fin tragique », « sort tranché de façon si tragique », euphémismes employés par tous les orateurs, bien stylés, pour ne pas dire franchement « fusillés », ou « assassinés », ou « tués d'une · balle dans la nuque ». Ce ne sont donc pas seulement les « antiparti » qui redoutent que la vérité soit découverte. La vérité semble encore impossible à dire sans que les Khrouchtchev, les Mikoïan et les Souslov en sortent déshonorés. Mais il faut constater pour l'instant que les quelques lignes de Fourtséva liquident un Himalaya de mensonges et de calomnies qui, pendant une vingtaine d'années, a pesé sur l'opinion publique en Occident autant qu'en Orient. Après Fourtséva, ce sera A. N. Chélépine qui donnera quelques détails accablants pour Staline et son plus proche entourage, à propos de leur cynisme et de leur cruauté envers leurs compagnons de la veille. Voici le passage du discours de Chélépine évoquant le sort de Iakir: Paroles d'A. Chélépine au XXJJe Congrès Une série d'annotations cyniques faites par Staline, Kaganovitch, Molotov, Malenkov et Vorochilov sur les lettres et les déclarations des détenus donne une idée de leur cruauté à l'égard de ces hommes, de leurs camarades dirigeants, pendant l'instruction. Par exemple, Iakir - ex-commandant d'une région militaire - écrivit en son temps une lettre à Staline dans laquelle il l'assurait de sa complète innocence. Voici ce qu'il écrivait : « ••• Je suis le soldat loyal, dévoué au Parti, à l'Etat, au peuple, que j'ai été pendant des années. Toute ma vie consciente a été consacrée à un travail honn2te, plein d'abnégation, au vu et au su du Parti et de ses dirigeants... Je suis loyal par chacu~ de mes paroles, je mourrai en prononçant des mots d'amour envers vous, envers le Parti et le pays, en gardant un, foi sans bornes dans la victoire du communisme.» Sur cette lettre, Staline ~crivit : • Gr,din ,t prostitud •• Vorochilovajouta : • D'.finition tout cl /mt just, ••

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