revue historÎ'Jue et critique Jes faits et Je1 iJées Mai-Juin 1962 Vol. VI, N° 3 LE COMMUNISME ET L'HISTOIRE LA FAÇON d'écrire et de récrire l'histoire dans les pays soumis aux partis communistes offre un des plus sûrs critères permettant de juger le régime qui l'impose et l'orientation de son idéologie officielle. La littérature historique produite dans l'empire soviétique depuis la révolution d'Octobre reflète bien les phases essentielles de l'évolution du régime tant au centre que dans la périphérie, tant dans la métropole que chez -les satellites. Aussi convientil de suivre avec attention les travaux publiés sur les divers plans de l'histoire pour savoir s'il est vrai que soit dépassé le stalinisme et ce que valent les affirmations de la propagande communiste multiforme qui vise à séduire les milieux intellectuels partout dans le monde. Dans la période léninienne du régime soviétique, une tendance domine sans peine les études historiques avec l'appui et les ressources de l'Etat et finit par dominer sans partage à mesure que le Parti unique absorbe toutes les fonctions intellectuelles comme les prérogatives politiques : c'est l'école qui veut se classer parmi est sciences exactes et se réclame du matérialisme historique ou déterminisme économique, autrement dit du marxisme (au sens où Marx a plusieurs fois désavoué ses épigones). Elle s'incarne principalement en M. Pokrovski dont Lénine recommande chaudement les œuvres et qui s'entoure d'« historiens-marxistes» (avec un trait d'union, toujours au sens où Marx répudie l'épithète), puis de « professeurs rouges » qui vont marcher sur ses traces. Sa biographie officielle, en 1930, le désigne comme « le plus grand historien-marxiste non seulement en U.R.S.S., mais dans le monde entier ». Entre autres mérites, il « a donné pour la première fois une explication marxiste de toute l'histoire de la Russie ». Et il cc combat opiniâtrement l'historiographie bourgeoise, démasquant et démolissant la conception nobiliaire bourgeoise de l'histoire russe, analysant la lutte de classes qui l'emplit ». Etc. M. Pokrovski fonde l'Académie socialiste, plus tard dénommée communiste, et il en assumera la présidence. Avec D. Riu.anov, il crée le Centre-Archives, et il en sera le directeur. Il entre à l'Académie des Sciences, fonde l'Institut des professeurs rouges, dont il devient le recteur, puis la Société des historiensmarxistes, qu'il préside. Bref cc l'école de Pokrovski » accapare alors toutes les positions, les institutions, les publications, les éditions qui ont Biblioteca Gino Bianco à Moscou le monopole d'élaborer et d'enseigner le cc sens de l'histoire ». Il va de soi que la prétention est exorbitante, d'abord parce que l'histoire n'a évidemment aucun sens, comme le prouve la diversité de théories concurrentes qui contiennent une part de vérité, ensuite parce que les initiateurs de la conception dite matérialiste et scientifique de l'histoire ne connaissaient pas l'histoire. Au XIXe siècle, l'érudition historique ne peut guère ambitionner la qualification de science, ne seraitce qu'en raison des faibles connaissances alors acquises en matière de préhistoire et de protohistoire, sans parler de tout le reste. L'archéologie, la philologie, la linguistique, l'anthropologie n'ont pris leur essor comme disciplines scientifiques auxiliaires de l'histoire, d'abord balbutiantes, longtemps approximatives, qu'au milieu du siècle des Lumières, avec les fouilles à Herculanum et à Pompéi, les études comparatives gréco-romaines de Winckelmann, la lecture et l'interprétation d'inscriptions préchrétiennes par Niebuhr, l'exhumation des fragments de l'Avesta par Anquetil-Duperron. Quand Champollion publie la première traduction relativement correcte du texte gravé sur la stèle de Rosette, en 1822, Marx n'est âgé que de quatre ans. La Description de l'Egypte, l'exploration de la Mésopotamie, le déchiffrement des écritures cunéiformes, les découvertes de Botta, de Layard, de Mariette, de Robinson, s'échelonnent sur la première moitié du XIXe siècle et, quant à la préhistoire, le premier compte rendu de Boucher de Perthes ne précède que de deux ans le Manifeste communiste, ouvrant la voie à Lartet, à Mortillet qui définiront vingt ans plus tard les séquences stratigraphiques. Dans ces conditions, comment Marx et Engels, même très instruits d'histoire narrative, même ayant lu les historiens de l' Antiquité, de la Renaissance et des Temps modernes, comment auraient-ils pu, dans leur fameux Manifeste, formuler une explication scientifique de l'histoire universelle ? Pour se limiter à la seule civilisation méditerranéenne, et en schématisant ici à l'extrême, il importe de rappeler que la synthèse hésitante et rrovisoire de nos connaissances n'a été possible qu après de lents progrès jalonnés par la première grammaire égyptienne d'Erman ( 1880), encore embryonnaire, la grammaire assyrienne de Deliztsch (1889), toutes deuxconsidérablement dépassées de nos jours, leur équivalente sumé-
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