Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

146 soire la majorité du Soviet, ses dirigeants et ses activités deviennent bourgeois également. 0~ petit-bourgeois. _(Petit-bourgeo~semble être celw qui est bourgeois sans le savoir.) Mais ·si le Soviet prend tout le pouvoir, mot d'ordre autour duquel la bataille . est menée presque d'un bout à l'autre de~ t~ois voJumes? On pourrait penser. q~e ce serait l_ale trio~pp.e du prolétariat. Pas si vite... Les soviets, de fevr1er à septembre, conservent. une majo~ité sociali~te démocratique, donc petite-bourgeoise. La prise du pouvoir par le Soviet 1:1-feera que p~rter la vraie lutte pour le pouvoir sur un terrain plus favorable. Ce n'est que lorsque les bolchéviks auront conquis la majorité qu_ecette organis!ltion d' «ouvriers et de soldats » deviendra automatiquement « prolétarienne ». « Seules l~s couc~~s dirigeantes [il entend par là le parti bolchevik] ?nt un programme politique... Sans org~~satlo~ dirigeante l'énergie des masses se dissiperait comme la' vapeur non enfermée dans un cylindre à piston 10 • » Manifestement, l'Assemblée constituante n'est pas l'instrument adéquat pour emmagasiner la vapeur de la locomotive de l'histoire. Cela aussi est clair par définition, l'Assemblée constituante étant une chose du xrxe siècle : elle représente la démocratie « pure » ou «formelle » ; elle accorde une représentation à la nation, au peuple tout entier c'est-à-dire à toutes les classes. Elle ne peut 'donc être utilisée par ~e socialisme d,u xxe siècle, non plus que par la dictature du proletariat ou le règne des« coll:chesdirig~~tes ». T~us ceux qui, en 1917, travaillent à realiser le reve séculaire du peuple russe de prendre enfin ses destinées en main et de rédiger pour lui-même sa charte des libertés politiques et des réformes sociales, sont tout juste bons à être condamnés comme petits bourgeois, à être rejetés et, pou~ finir, à être privés de la liberté de forme~ un parti ou d'exposer leur programme. Ceux qui pressent les comités agraires· de préparer le transfert équitable et systématique de la terre aux paysan~, mais qui veulent attendre que le programme soit mis au point et ~atifié p~r l'As~em~lée constituante, sont promis au meme aneantissement en vertu des étiquettes. A la veille de la prise du pouvoir, dans son allocution après son élection à la présidence du Soviet de Pétrograd, Trotski donna cette assurance solennelle : « Nous mènerons le travail du Soviet de Pétrograd dans un esp~it de lé~aµt~ et d'entière liberté pour tous les partis. Le presidium ne prêtera jamais la main à la suppression de la minorité 11 • » · Mais l'historien Trotski préfère oublier cet engagement. Il néglige d'enregistrer _les mots inoubliables prononcés par Léon Trotski. Lorsque Soukhanov, trois ans après le coup d'Etat, lui 10. Trotski : Histoire, t. I. n. Soukhanov : Zapiski ... , V~, pp. 188 sqq. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL rappelle son serment, il marque un silence, puis, pensivement : « C'était le bon temps 12 • » Nous ne saurions clore cette trop brève analyse de trois gros volumes sans dire un mot de ce que l'historien y trouvera néanmoins. Premièiement, il y a là un exposé p1;1i~san~, éloquent, des doctrines et des dogm~s qui 1nsp1rèrent Lénine et Trotski en 1917. Deuxièmement, l'ouvrage offre de brillants tableaux représentant des scèrtes révolutionnaires et des masses en action. Troisièmement, on y voit des silhouettes remarquables de tous les principaux acteurs, la plupart du temp~ campées ~e m~nière }?artialeet poussées à la cancature, mais touJours vivantes et révélatrices. Quatrièmement, c'est un exposé, unique dans la littérature historique, de la stratégie et de la tactique des mouvements militaires, de la préparation d'une conspiration pour s'emparer du pouvoir sous le simple prétexte de défendre la révolution. Trotski exulte à l'idée de son habileté à camoufler chaque mesure offensive en acte de défense et il prend plaisir à rappeler méticuleusement tous les détails, qu'il connaissait mieux que personne, même que Lénine; car c'est lui, le président du Comité militaire révolutionnaire et du Soviet de Pétrograd, qui trama tout, qui couvrit chaque manœuvre sous l'éclat impudent de son éloquence et. veilla personnelle~~nt _àt_o_us les détails. Les chapitres sur « Le Cormte milit~e révolutionnaire » et sur « La conquête de la capitale » n'ont pas d'équivalent dans tout ce qui a été écrit sur le sujet. Cinquièmement, cet ouvrage met à nu, à la fois sciemment et inconsciemment, l'âme de l'un des principaux acteurs de la révolution d'Octobre, le plus important au moment décisif. En somme, il s'agit d'une œuvre qu'aucun historien de la Russie ou de la révolution ne saurait négliger. Màis on ne doit pas ignorer que si la plume de Trotski sait fréquemment persuader, elle est sans cesse partiale. L'historien a le devoir constant de mettre au jour les vérités des vaincus aussi bien que celles des vainqueurs, ce que le culte de la déesse Fortune empêche trop souvent de faire. Mais, particulièrement dans le cas présent, le lecteur devrait se bien pénétrer des vérités des vaincus. D'autant que, sous un flot de paroles qui rappellent la victoire de Trotski et de son parti, gisent quelques-uns des secrets qui expliquent pourquoi Trotski, lui aussi, d0it être finalement compté au nombre des . vaincus. BERTRAM D. WOLFE. (Traduit de l'anglais) 12. Ibid., p. 190. "

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