LE CASSE-TÊTE DES STATISTIQ!IES par Jan Prybyla QUAND on aborde les statistiques soviétiques, il faut surmonter trois types d'obstacles : 1. difficultés d'interprétation dues aux différences des conceptions économiques et statistiques en usage en Union soviétique et en Occident ; 2. suppressions, omissions et camouflages délibérés des données ; 3. comptes défectueux à l'échelon de l'entreprise ou du kolkhoze. Si ces obstacles tiennent tous, directement ou indirectement, au fait que, pour les dirigeants soviétiques, l'information statistique est une arme, le mal qu'ils donnent aux analystes occidentaux diffère d'un problème à l'autre. En principe, le premier est le moins redoutable, une fois comprises les différences de conception. Ainsi les spécialistes occidentaux savent ce qu'il faut entendre par « revenu national». Cette connaissance est cependant loin d'être complète, en partie parce que des désaccords subsistent parmi les économistes et statisticiens soviétiques sur certaines définitions, en partie parce qu'il est permis de se demander jusqu'à quel point les définitions admises par tous sont suivies dans la prati9ue. Quoi qu'il en soit, des différences de conception sont en elles-mêmes tout à fait légitimes et, à condition d'en tenir compte, les difficultés d'analyse peuvent être plus ou moins résolues. · Le deuxième problème est certes beaucoup plus épineux, étant directement lié à l'emploi des statistiques à des fins de propagande. Quels que puissent en être les autres usages, une fonctton yremière des statistiques est de fournir une Justification à ce que Staline appelait la «loi» du développement régulier de l'économie Biblioteca Gino Bianco soviétique 1 • Cette exigence donne lieu à trois sortes d'abus: 1. suppression de toute précision sur la manière dont telle ou telle donnée a été calculée ; 2. parcimonie des données concernant d'importantes catégories économiques (par exemple la main-d'œuvre industrielle); 3. omission de renseignements statistiques gênants. En dépit d'une certaine amélioration depuis 1953, tant dans le volume des chiffres publiés que dans l'étendue des notes explicatives qui les accompagnent, les annuaires statistiques soviétiques restent avares de données et n'offrent au spécialiste qu'un terrain mouvant. Par exemple, un septième environ de l'annuaire statistique pour l'industrie (Direction centrale de la statistique : L'industrie de !'U.R.S.S.) ne fait que reprendre sous forme de pourcentages les chiffres absolus présentés dans le même ouvrage sous d'autres rubriques. Le troisième problème, qui nous occupe surtout dans le présent article, est un peu plus délicat et a ceci de particulier qu'il donne des ennuis non seulement aux analystes occidentaux mais à la Direction centrale de la statistique soviétique elle-même. La manipulation des données économiques à l'échelon du gouvernement central, considérée comme idéologiquement justifiée pour diverses raisons, est une chose. Les acrobaties comptables aux échelons inférieurs en sont une autre. Celles-ci sont en effet considérées comme un crime grave sapant le travail des planificateurs et couvrant d'habitude des activités réprouvées par la « morale socialiste ». 1. Cf. Naum Jasny: Sovitt Industrializatiotr, 1928-1952, Chicago 1961.
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