Le Contrat Social - anno VI - n. 1 - gen.-feb. 1962

P. BARTON POUR EXPLIQUER l'évolution de l'économie de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu'à la mort de Staline, N. Iasny propos~ de se référer aux années de rétablissement qw suivirent la dépression de 1932-33 : Les situations furent exactement similaires ; les buts et les moyens identiques. En particulier, les deux périodes se signalèrent par (...) l'utilisation des niveaux extrêmement bas auxquels la consommation était tombée à la fin de la période précédente, pour servir de tremplin au rétablissement et à l'expansion de_la production des biens d'équipement, de la construction et de l'investissement (p. 237). Et de démontrer que le salaire réel qui, en 1945, représentait à peu près la moitié de celui de 1940 ou le quart de celui de 1928, ne commença à augmenter sérieusement qu'après un dépassement considérable du niveau d'avant guerre dans les domaines de l'investissement et de la production des biens d'équipement : c'est à partir du 1er mars 1949 seulement qu'on constate une remontée rapide du pouvoir d'achat des salariés (p. 407). A première vue, ce tableau est à peine croyabl~. Après tout, le dénuement dans lequel se trouvait la classe ouvrière occupée au redressement de l'économie après l'effondrement de 1934-35 n'est pas comparable à la condition faite aux salariés au lendemain de la victoire sur Hitler. Ce que les ouvriers gagnaient en 1932-35 représentait à peu près le double du salaire moyen de 1945, et au bout de deux ans de reprise le salaire réel connut une hausse considérable. Cepen~ant l'examen de l'évolution de la. ~~ndition ouvrière au cours de la seconde moitie des années 40 confirme entièrement les conclusions de Iasny. Il y eut bien, entre février 1946 et octobre 1947, une période de remise en ordre des rapports de travail, mais il s'agissait uniquement d'imposer certaines limites à _la désorganisation résultant du règne de la violence e! de l'arbitraire qui s'était instauré dans les usines. Parmi toutes les mesures adoptées, une seule portait sur le niveau et la _vale~rrée~lede~ rémunérations : ce fut la ma1orat1on degress1ve des salaires bas et moyens, décrétée le 15 septembre 1946, pour pallier les. effe,ts de l'augmenta~on des prix des denrées rat1onnees~t ceux de la ~a1sse simultanément opérée s~r les p~ix « commerc1a~ » pratiqués au marché noir officiel (cf. notre amcie « La législation du travail en U.R.S.S. », 1n Contrat social, sept. 1958). Or, selon les calculs de Solomon Schwarz, cette majoration ne fut pas suffisante pour compenser l'a~e~nte P?rt~e par la réforme des prix aux conditions d ex1~tence des salariés les plus mal payés ( Les Ouvriers en Union soviétique, Paris 1955, pp. 279-80). EN ANALYSANT l'évolution d'après guerre, Iasny procède selon une notion étr?ite de re~ontée économique ( recooery) : celle-ci est considérée Biblioteca Gino Bianco 31 comme achevée au moment où est de nouveau atteint le niveau antérieur à la dépression. Point de vue qui correspond à une lo~gue tra~tion parmi les économistes russes, et qm e~t d'aill~urs épousé par de nombreux autres econom1s~es contemporains. L'expérience n'en a pas ~oms démontré que la croissance accélérée, lom de disparaître avec 1~ !étab~ssement d? volum~ antérieur, se pourswt 1usqu'a ce que soi~ rattrape le point de développement auquel on serait parvenu sans la catastrophe. Ou, pour reprendre une formule de Colin Clark, jusqu'à ce que la production rejoigne sa courbe d'évolution normale. L'accélération diminue peu à peu à l'appro_che de ce point, mais elle demeure notable. Ce mecanisme, maintes fois observé, n'a pas trouyé j.usqu'à présent d'explication entièrement satisfaisante; d'où la tendance à restreindre la portée du concept. Mais les difficultés d'interpr~tation n~ justifient jamais l'abandon d'une notion fonde_esur des faits empiriques. Conçue comme simple restauration du statu quo ante, la remontée n'est au demeurant qu'une fiction statistique, car la · structure de la production n'est plus la m~me lorsque le niveau antérieur est à nouveau atteint : certaines branches ont progressé plus que le reste, certaines autres ont définitivement périclité, les proportions du capital investi dans les moyens de production et du c~pital variable ~épen~épo~ir les salaires ont change, la technologie a evolue, etc. Dans le cas de l'évolution économique de l'U .R.S.S. après la deuxième guerre mondiale, la notion restreinte de remontée est d'autant moins pertinente que les chiffres indiquant la restauration du volume d'avant guerre font abstraction des différences fondamentales entre les territoires précédemment occupés et ceux qui ne subirent pas de dévastati~n. Comme. c~rtaines branches de la production en. territo1~e non occupé avaient connu une expansion considérable pendant 1~ guerre, ~t. que ~eur essor s'était plus ou moins pourswvi enswte, on en arrive à situer la fin de la remontée à un moment où la reconstitution, en un sens strictement technique, des territoires dévastés étai~ en~ore loin de son achèvement. N. Jasny a etabli que _la restauration du niveau de 1940 fut accomplie, quant à la production industrielle, à l'investissement net et au revenu national, vers 1949 (pp. 362, 298 et 425). Il considère e~ conséque?ce que les facteurs favorables à une croissance rapide pendant la remontée ne jouèrent plus après cette date. De son côté, Harry Schwartz es~me. que ~ans les territoires ex-occupés la production 1ndustr1elle ne dépassa son volume de 1940 que vers 1954 (Russia's Soviet Economy, 28 éd., Englewood Cliffs 1958, p. 219), ce qui reste invérifiable, l'auteur ayant omis d'indiquer ses sources et ses méthodes de calcul. Toutefois son estimation n'est pas incompatible avec les indices partiels ou indirects dont on dispose. Se fondant sur les données officiellesconcernant la valeur brute, en milliards de roubles, de la

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==